[b]Le 21 avril 1961, un putsch avorté : dommage ![/b]
[center« Ils pleureront des larmes de sang, plus tard, lorsqu’ils comprendront ! Au moment où
les Français ne sauront plus comment caser leurs enfants ni leur assurer des situations
et leur ouvrir des débouchés, ils ferment devant eux, de leurs propres mains, ce champ
d’action formidable et ce vaste morceau de notre France qu’était l’Algérie !
L’industrialisation de l’Algérie, à elle seule, aurait eu de quoi occuper trois générations,
c’est perdu ! Oui, j’attends les Français avec leurs milliers de jeunes réclamants des
emplois ! Et le Sahara, avoir abandonné le Sahara avec ses richesses inouïes, ses
richesses morales surtout ; c’était là-bas que se forgeaient les hommes et les âmes, quelle
faute ! Les Français comprendront plus tard, et ce plus tard sera bientôt ! » (Maréchal
Alphonse Juin (1))
Le texte ci-dessus date de 1962, mais il n’a pas pris une ride. Plus d’un demi-siècle après
son indépendance, l’Algérie a gâché le bel héritage laissé par les colons français. Quant à
la France, elle a renoncé à son autosuffisance énergétique en bradant le Sahara. Trois
ans après les funestes accords d’Évian, nous abandonnions Mers-El-Kebir, trois autres
années encore et nous laissions le Sahara et ses immenses gisements de gaz et de pétrole.
La France, réduite à un hexagone, tirait un trait sur ses matières premières. Le premier
choc pétrolier, en 1974, s’est chargé de le rappeler à un peuple trop stupide pour
comprendre que l’héritage gaulliste, c’est aussi cela, c’est surtout cela.
La fin de l’Algérie française aura été, en fin de compte, un match nul, perdant-perdant.
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Grâce aux opérations du « Plan Challe » nous avions gagné ce conflit militairement.
Le FLN (2), avec la complicité du gouvernement français, l’a gagné politiquement. En
effet, il faut arrêter d’entretenir le mythe du peuple algérien se levant d’un bloc contre le
colonisateur honni. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1958, quand l’ermite de
Colombey revenait aux affaires, l’ALN disposait de 20 000 combattants et autant
d’auxiliaires, soit 40 000 hommes plus ou moins bien armés. Lors des accords d’Evian (18
mars 1962), elle avait moins de 4 000 combattants réguliers et 10 000 moussebilines. Et
dans le même temps, les effectifs des musulmans algériens servant dans (ou aux côtés
de) l’armée française passeront de 30 000 à... 260 000 hommes. Certes, certains se sont
engagés moins par conviction politique que par refus des méthodes et des principes du
FLN mais, qu’on le veuille ou non, ils avaient choisi de servir la France. Beaucoup sont
morts pour elle.
« On ne s’est pas enlacés pendant 130 ans, écrira le sociologue Jacques Berque, sans que
cela descende très profondément dans les âmes et dans les corps... ».
De nos jours, les dirigeants algériens – au pouvoir sans discontinuer depuis presque 60
ans – tentent de faire oublier leur incompétence crasse et la corruption endémique qui
gangrène leur pays en chargeant la France de tous les maux. La moitié du peuple algérien
– soit plus de 20 millions de personnes – a moins 25 ans, et elle apprend dès son plus
jeune âge que tous ses malheurs viennent de nous. Les déclarations irresponsables
d’Emmanuel Macron, le scandaleux « rapport Stora » et notre mea-culpa perpétuel
viennent – chaque jour un peu plus – mettre de l’huile sur le feu.
Il ne sert à rien de réécrire l’histoire, car, comme dit l’adage populaire : « si ma tante en
avait, on l’appellerait mon oncle » or, dans notre époque qui perd tous ses repères, l’oncle
peut « en avoir » et ... être une tante. Pourtant, quand arrive le 21 avril, je me dis que la
réussite du putsch d’Alger aurait été assurément une bénédiction, tant pour les Français
que pour les Algériens.
Hélas, ce pronunciamiento, comme tant d’autres, a fait un flop. Dès le 26 avril 1961,
Maurice Challe, l’un des putschistes du « quarteron de généraux à la retraite » fustigé
par de Gaulle dans une allocution télévisée, se rendait aux autorités, et avec lui, le
commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, dont le régiment – le glorieux 1 REP (3)-
avait été le fer de lance du soulèvement.
Ainsi s’achevait, tristement, le dernier sursaut de l’Algérie française.
Toute cette affaire, qui se terminait mal, avait commencé quelques jours plus tôt.
Le 21 avril 1961, l’armée – une partie – entrait en dissidence : les généraux Challe, Zeller,
Jouhaud, puis, dès le lendemain, « le Mandarin » Raoul Salan, prenaient le pouvoir à
Alger.
Des généraux, des colonels, des capitaines les avaient suivis avec leur régiment, ou, plus
modestement leur section. Le 1 REP, les Commandos de l’air, des régiments paras
accompagnaient cette rébellion. Les civils, « pieds-noirs » ou musulmans, avaient été
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tenus à l’écart (à l’exception de membres du groupe « France-résurrection » chargés de
guider les troupes). L’armée voulait un coup d’état militaire. On peut penser, après coup,
que le putsch était jouable en y associant les « pieds-noirs » et les musulmans pro-
français. Charles Maurras a dit : « Un peuple qui néglige son armée est un peuple
malade. Un peuple qui se sépare moralement de son armée est un peuple perdu... ».
Lors de la « semaine des barricades » de janvier 1960 à Alger, les civils ont agi seuls ; en
avril 1961, les militaires ont voulu agir seuls ; bilan de ce sectarisme réciproque : deux
échecs !
Les services secrets français annonçaient depuis longtemps que le malaise de l’armée
pouvait dégénérer en coup de force mais de Gaulle n’y croyait pas. Ce « militaire de
plume » ne comprenait rien à l’armée d’après-guerre. Cette armée qu’il avait lui-même
désorganisée à la Libération et qui présentait un arc-en-ciel d’idéaux très disparates.
Quant aux militaires qui avaient cru en de Gaulle le 13 mai 1958, ils tombèrent de haut, en
septembre 1959, quand ce dernier inventa « l’autodétermination ». De Gaulle ne cachait
pas son dédain, voire son mépris, pour les militaires. Lui, l’intellectuel, le littéraire,
supportait mal leur lenteur d’esprit. Mégalomane et orgueilleux, il se jugeait au-dessus de
la mêlée. Pour lui plaire, un général devait être : «... un homme d’État, un visionnaire, un
réformateur et un poète. Ramsès II, Mahomet, Saint Louis et Pierre le Grand avaient
toute son admiration, mais les hommes d’une pareille envergure sont rares dans
l’armée... » (4). Durant ses 12 années d’exil, sa longue traversée du désert à Colombey, il
avait perdu le contact avec la nouvelle armée.
Or cette armée, humiliée en Indochine, trouvait en Algérie une raison d’espérer. Il
attribua le malaise des militaires à un manque de discipline et aux faiblesses de la IV
République. Cynique, il ironisait en public sur ces soldats « qui ne voient pas plus loin que
le bout de leur djebel... ».
Le 21 avril donc, la « grande muette » sort de sa réserve et... de ses casernements ; le
putsch démarre ! Ceux qui l’ont organisé ne veulent pas mettre à mal la République, ils
veulent sauver l’Algérie française. Ce n’est pourtant pas ce que l’histoire « officielle »
retiendra !
La Maison de la Radio fut enlevée sans coup férir par les légionnaires-paras du 1 REP,
aux ordres, par intérim, du commandant Denoix de Saint Marc.
Avant de partir en permission, son colonel lui avait déclaré: « Je vous confie le régiment.
Nous vivons une époque tragique où il n’est pas facile pour un soldat de savoir où est le
droit chemin... » À 18 ans, Saint-Marc a été déporté à Buchenwald. Il a eu une conduite
héroïque en Indochine comme en Algérie. C’est un homme de devoir et d’honneur. Le
général Challe est, pour lui, celui qui « a commandé les troupes françaises et les a
menées à la victoire ». Il éprouve pour lui « admiration, respect et amitié » (5). Quand
Challe, en civil, en simple blouson d’aviateur, sans écusson ni grade, le convoque, il lui
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déclare sans ambages : « Je suis un démocrate, Saint-Marc, ni raciste, ni fasciste, mais il
s’agit bien d’un coup d’État... ». Et Hélie de Saint Marc, n’écoutant que sa conscience, a
lancé ses légionnaires-parachutistes à l’assaut des points stratégiques d’Alger.
La réputation, la qualité et la discipline des troupes putschistes évita un bain de sang. Un
adjudant du REP fit une victime – la seule – en ripostant contre un tir des gardiens du
poste relais d’Ouled Fayet. Le lieutenant Durand-Ruel, du REP, tira lui aussi un seul coup
de feu... dans le pneu de la jeep du général Gambiez qui « gesticulait comme un diable »
pour arrêter, à lui seul, un convoi de légionnaires-paras. Le lieutenant Godot avait
désarmé sans difficulté le général Vézinet. Ce dernier, indigné, déclarait : « De mon
temps, les lieutenants n’arrêtaient pas les généraux ».
Et Godot avait répondu sèchement: « De votre temps, les généraux ne trahissaient pas !
»
Les unités se rallient comme prévu : après le 1 REP, les 18 et 14 RCP puis le 1 REC
avec ses harkis. On annonce l’adhésion du 27 Dragons du colonel Puga, du 7 RTA, ce
régiment qui fut glorieux à Diên-Biên-Phu, du 1 RIMA du commandant Loustau. Les
putschistes se prennent à rêver : c’est la victoire ! Oui mais, comme l’écrit Pierre
Montagnon : « Alger n’est pas l’Algérie ».
À Constantine, le général Gouraud joue la valse-hésitation. À Batna, le général
Ducourneau choisit la fuite, c’est-à-dire d’attendre le vent. À Bône, le général Ailleret...
attend de voir. À Oran, les troupes ne suivent pas le général Gardy. Dans l’armée d’active,
chez les « Centurions », c’est une explosion de joie et d’espoir. Pourtant, les plus lucides
comprennent vite que c’est fichu : on attendait Massu ou Bigeard. Ils ont tous deux choisi
leur carrière.
On espérait un soulèvement des « pieds-noirs » et des ex « Unités Territoriales » ; Challe
n’a pas voulu mêler les civils à son coup de force. Le 22 avril cependant, on veut y croire
encore : Argoud est arrivé à Oran avec deux régiments paras. Le 2 REP, aux ordres de ses
capitaines, part pour Alger. Le colonel Ceccaldi – pourtant Compagnon de la Libération –
entraîne avec lui les 6 et 2 RPIMa et le 9 RCP. Pratiquement, à un régiment près – le
3 RPC, l’ancien régiment de Bigeard – les deux divisions parachutistes ont basculé dans
la rébellion.
Le 23 avril va être la journée de l’enlisement. À quoi faut-il attribuer l’échec du putsch ?
Les causes sont multiples mais les historiens sont assez unanimes sur certaines d’entre
elles :
– La volte-face de plusieurs généraux qui, au dernier moment, se sont défaussés
– Ce drame ne concernait que les « pieds-noirs », que Challe a refusé d’embrigader, et
l’armée d’active (en dehors des régiments parachutistes qui étaient majoritairement
composés d’appelés). Le contingent n’avait qu’une hâte et une envie : rentrer en
métropole.
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– Mais la principale raison de l’échec du putsch fut l’utilisation, savamment orchestrée, de
la télévision par de Gaulle. Le 23 avril en soirée, il prononça une allocution qui fit date.
Personne n’a oublié ce « quarteron de généraux à la retraite... qui a pris le pouvoir en
Algérie... ». Et de Gaulle de rajouter, en martelant bien les mots : « J’interdis à tout
soldat d’exécuter aucun de leurs ordres... ».
Le peuple français est peureux ET légaliste (ou légaliste parce que peureux ?). Il attendait
que le guide le ramène dans le droit chemin ; celui de la tranquillité, de la soumission
moutonnière.
L’homme, que personne n’avait entendu le 18 juin 1940, fut écouté par des millions de
Français le 23 avril 1961. Une fois de plus, le grand homme allait sauver la France !
Dès le lundi 24 avril, la situation se dégrade et le 25, le navire prend l’eau de toutes parts.
Le général Challe décide d’arrêter et de se constituer prisonnier.
Certains voudraient continuer le combat mais à quoi cela mènerait-il ? Dans le ciel
d’Alger on voit passer les « Noratlas » qui regagnent la France. En fin d’après-midi, les
régiments parachutistes et ceux de la Légion regagnent presque tous le Constantinois,
d’où ils sont venus. Quand la nuit tombe, le 1 REP quitte le Gouvernement Général et
embarque dans ses camions. Des accents gutturaux – des légionnaires d’origine
allemande – entonnent « Je ne regrette rien », cette chanson d’Édith Piaf en vogue à
l’époque. Challe, Jouhaud et Salan se mêlent aux légionnaires.
Zeller s’est éclipsé dans la foule. Des colonels font de même ainsi que quelques officiers.
Le putsch est terminé ! Les lendemains seront amers pour les vaincus : Challe, puis Zeller
occupent les cellules désertées par Ben Bella et ses complices. D’autres généraux les
rejoignent : Bigot, Gouraud, Petit. Ainsi que les chefs de corps les plus compromis : La
Chapelle, Masselot, Robin, Saint Marc, Lecomte, Cabiro, Bréchignac... Plusieurs sont des
héros de Diên-Biên-Phu.
La colère gaullienne frappe aussi les régiments : le 1 REP, les 14 et 18 RCP(6), les
Commandos de l’air, sont dissous. Les deux divisions parachutistes – la 10 et la 25 –
dont les chefs ont été soit rebelles soit attentistes, sont dissoutes et refondues en 11 DLI
(7). Cette division sera retirée du champ de bataille et rapatriée, dès l’été 1961, vers les
brumes lorraines.
À la suite du putsch d’Alger, le pouvoir annonça que 1 100 à 1 200 officiers et sous-
officiers étaient « écartés » de l’armée. De Gaulle réglait ses comptes !
Au moment du putsch, j’ai 11 ans et je suis « enfant de troupe » au Prytanée militaire
d’Aix-en-Provence. Dans ma section, nous sommes deux fils d’officiers supérieurs, tous
deux parachutistes.
Allez comprendre pourquoi la chanson « je ne regrette rien » me donne la chair de poule
chaque fois que je l’entends, plus d’un demi-siècle après le putsch des généraux ?
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Je n’ai rien oublié... Semper Fidelis.
Eric de Verdelhan
P.S : Ce texte est tiré, du moins en grande partie, de mon livre « Hommage à notre
Algérie française » (Éditions Dualpha ; 2019).
1) Qui fut condisciple de Charles de Gaulle à Saint-Cyr, et notre dernier maréchal de
France.
2) FLN = Front de Libération National algérien. ALN = Armée de Libération Nationale,
armée du FLN.
3) Régiment Etranger de Parachutistes.
4) « Les combattants du crépuscule » de l’américain Paul Henissart ; Grasset; 1970.
5) Témoignage d’Hélie Denoix de Saint-Marc dans ses « mémoires » et dans le « livre
blanc de l’armée française en Algérie ».
6) Régiment de Chasseurs Parachutistes.
7) 11 Division Légère d’Intervention.][/center][/center]