Le 26 Mars 1960, les paras du 18ème RCP, presque tous soldats du contingent, donnent spontanément l'assaut pour enlever avant la nuit les positions des djounouds. Le Kef Sidi Mahrouf Mars 1960. Les bourrasques venues du nord sous un ciel bas se sont estompées et les pluies se sont enfin calmées sur Djidjelli. Cette frange de Petite Kabylie est avec la presqu'île de Collo, la plus arrosée du Magreb. De novembre à mars, le ciel s'y déchaîne sur les chênes-lièges, les lentisques et les bruyères. Le manteau vert qui recouvre le pays se charge d'humidité avant les chaleurs de l'été.
Cette accalmie est la bienvenue. Le plan Challe bat son plein et dans les deux camps les conditions climatiques ont lassé les combattants. Voici un an que le général aviateur a lancé la vaste opération qui porte son nom et qui balaie l'Algérie. Après l'Oranie, l'Ouarsenis et les monts du Hodna, il a jeté ses paras et ses légionnaires, sa force de frappe, à l'assaut des deux Kabylies.
Régiment Para, le 18ème Régiment de Chasseurs Parachutistes est à l'ouvrage un peu au sud-ouest d'El Milia. Il se bat d'ailleurs pratiquement sans interruption depuis les débuts de ce qu'on appelle maintenant la guerre d'Algérie. Arrivé en renfort dès 1954 dans le cadre de la 25ème DIAP (devenue par la suite la 25ème DP), il a été précipité dans la mêlée sur les pentes de l'Aurès. Les premiers succès militaires sont à son actif. C'est lui qui, en février 1955, non loin d'El Arrouch, près de Philippeville, a intercepté et tué Didouche Mourad, l'un des promoteurs de la rébellion Algérienne contre la présence française.
Depuis des mois, le 18ème connaît donc les rigueurs du fameux plan Challe. Ses unités occupent le terrain et traquent l'adversaire. Chasseurs et gibiers vivent à la même enseigne. Les bivouacs paras ne sont que quelques guitounes de toile plantées sur des esplanades ventées. Ceux que l'on désigne comme les "fells" se terrent dans des gourbis en ruine ou dans des grottes. Jour et nuit, les paras patrouillent, tendent des embuscades, ratissent le terrain.
La méthode paie. Pour survivre, l'ennemi est obligé de se déplacer, donc, à la longue, de se faire repérer. Alors, c'est la curée! La chasse pique. Les hélicoptères débarquent les renforts. Et l'affaire se termine au plus près, entre les soldats, c'est à dire au pistolet-mitrailleur et à la grenade dans ce terrain broussailleux, rocheux, aux perspectives bornées, aux dénivellations souvent impressionnantes. Pour l'ALN, cet hiver 1959-1960 a été terrible. Ses katibas (compagnies) ont été décimées. Ses ferkas (sections) ne rassemblent plus qu'une trentaine de combattants, parfois moins. Cependant, ces rescapés sont des hommes déterminés, aguerris, enfants du pays. Maigres comme des loups mais la foi au coeur, ils luttent pour leur cause et leur existence. Ils savent se battre et mourir. C'est contre ces rebelles opiniâtres que ce 26 mars 60, le 18ème a lancé une nouvelle action.
Le terrain de chasse est vaste. En gros, un carré de 20 X 20 km, au sud-ouest d'El Milia. Au nord le 8ème RPIMA; à l'ouest le 2ème REP; vers l'est et le sud, les légionnaires du 3ème Etranger. Coté Français, on est entre gens de bonne compagnie.
Duel à cing pas entre Colonel para et un djoundi.De la zone à traiter, émergent deux blocs : le Sidi-Mahrouf avec ses falaises et son point culminant, la cote 1237; et plus au sud, le pavé du Zouarha. En contrebas, dans la vallée, l'oued Kebir, l'oued Itera et l'oued Endja coulent pratiquement au niveau de la mer. Il faut de solides jarrets pour se hisser sur les hauteurs avec tout le barda : armement, munitions, vivres. Heureusement les paras, s'ils ont de bonnes jambes, sont aussi servis par leurs hélicoptères. Les birotors H21, les fameuses "Bananes", enlèvent des sticks de 6 à 8 à chacune des rotations. Masselot sait en faire bon usage. Masselot le nouveau patron du 18 !
Le 18ème en tire fierté. Si le commandement lui a donné Masselot, c'est bien la preuve qu'il le prend en considération. Car Masselot, c'est du sérieux. Sa réputation de dur à cuire, de légionnaire meneur d'hommes, de chef de guerre, de "patron" en somme, est solidement établie. D'entrée de jeu, Masselot s'est montré sous son vrai jour : le chef qui donne l'exemple.
Opération de routine . "Passerelle vert", la compagnie d'appui, a été héliportée sur une crête et progresse à la recherche de l'ennemi. Au dessus, à 500 pieds, Masselot, dans son Alouette, surveille le mouvement. D'un oeil ,il observe le comportement de ses "petits paras", d'un autre il scrute les talwegs. Soudain, le Colonel sursaute. Son regard se fixe intensément, presque à la verticale, légèrement sur la gauche. Non, il ne rêve pas. Sa main se pose sur l'épaule du pilote de l'alouette.
- Là, à nos dix heures!
- A nos dix heures! Affirmatif! Bien vu.
Le pilote voit lui aussi. Un groupe d'hommes en armes s'échappe d'une dechra légèrement à contre-pente et se précipite vers les fonds. Déjà, Masselot a saisi son "bigo" :
- Passerelle vert de Soleil!
"Passerelle" est l'indicatif du 18ème, "Soleil" identifie le chef de corps:
- Soleil, j'écoute.
- Attention une quinzaine de gars file vers le sud, juste à ma verticale. Foncez!
"Vert trois", c'est à dire la 3ème section de la compagnie vert, est au plus près. Son chef, le Sous-Lieutenant Langlois, cherche à s'orienter. Un sifflement. Un habitacle s'ouvre. Un cinq galons se précipite, sa carte à la main:
- Ils sont là, foncez!
Les paras regardent, hésitent un instant. Où exactement? Masselot, car c'est lui le nouvel arrivant tombé du ciel , a localisé chaque buisson, depuis son stationnaire au-dessus du groupe qu'il a repéré. D'un geste il saisit le PM d'un voltigeur. La rafale éclate sèchement. Deux cents mètres en contrebas, les impacts piquettent la caillasse.
- En avant!
Langlois a compris. Il entraîne ses hommes, et Masselot avec une fougue de Sous-Lieutenant démarre avec lui.
Masselot se sent des jambes de vingt ans. Il n'est pas chargé, il est vrai. Les chargeurs ne lui battent pas les flancs, son pistolet est léger dans sa main. Rien d'étonnant à ce qu'il soit en tête. Les jeunes paras sont tout émoustillés. Foncer ainsi, Colonel en tête! Soudain à 5 m, un homme se dresse. Il tient un fusil à la main. Masselot se trouve brutalement face à lui. Qui tirera le premier? Dans un réflexe le Colonel plie sur ses genoux et, le corps bien assis, aligne son adversaire. Le poignet ne tremble pas. Masselot est un fervent du tir. Il aime les beaux cartons. Le doigt presse la détente. Rien! Un déclic sans plus. Incident de tir! Le djoundi a lui aussi vu le colonel. Il l'ajuste à son tour. A quelques pas, il fera mouche. Masselot distingue son visage basané au regard déterminé. Dans un ultime réflexe d'école, sa main gauche agrippe la culasse du PA pour réarmer. Aura-t-il le temps?
Un coup de feu claque, suivi de deux autre. Masselot se représente, plus qu'il ne voit , un rictus sur le faciès de son vis-à-vis qui s'effondre, menton arraché.
- Merci Langlois! Bravo!
Le Sous-Lieutenant Langlois au milieu des siens, avait achevé le duel. D'un tir à la hanche sa carabine a porté. Colonel et Sous-Lieutenant éclatent de rire. Ouf! Masselot revient de loin. On retrouvera percutées les deux cartouches du fell. Un bon douze. A quelques mètres, de quoi faire de bien vilaines blessures qui ne pardonnent pas. Pour Masselot, ce jour-là était jour de baraka.
L'histoire ne rapporte pas l'accueil réservé à l'armurier pour avoir fourni à son chef de corps un pistolet réglementaire hors d'état de marche....Le 18ème est fixé, le patron aime la poudre. On va lui en servir!
Ce 26 mars 1960, le 18ème est donc en action entre le Sidi-Mahrouf et le djebel Zouarha. Masselot a son PC sur la cote 1237. La visibilité est excellente et à la jumelle les guetteurs sondent pentes et oueds. Par héliportage ou mise en place à pied, toutes les compagnies ont été engagées. Suivant le vocabulaire consacré, elles ratissent maintenant au peigne fin les flancs du Zouahra. La progression est dure. Rochers, broussailles, à-pics entravent la marche. Les commandants de compagnie, les chefs de section ont du mal à conserver un dispositif linéaire assurant tout à la fois sécurité et fouille parfaite. Mais personne ne s'en plaint. La méthode a été tant de fois utilisée dans cette guerre d'usure et de patience,qu'elle est devenue routine. Cela n'autorise pas à relever sa garde. A tout moment l'ennemi peut se dévoiler, tel un gibier pris au gîte, à courte distance. Mais ce gibier peut riposter.
A mi-journée, rien. On continue, on grignote un morceau sur le pouce, à la faveur d'une pause, et on se réaligne. Vers 14 heures, un chouf (guetteur) posté sur le Sidi-Mahrouf croit déceler des mouvements vers les fonds de l'oued Itera. Ennemis ou amis égarés? Au PC, les yeux se rivent aux jumelles.
- Pastaga de Passerelle, voyez un peu en Delta 44
Dans le ciel, le piper-club modifie sa ronde et pique sur l'emplacement désigné, mais déjà, les renseignements se précisent: une ferka d'une trentaine d'hommes se dissimule dans une cuvette que le 18ème va aborder. Les djounouds paraissent bien armés, mais pratiquement encerclés: tous les "enfants de Passerelle" sont là. De surcroît, vers l'est et le fond de l'oued Itera, des éléments du 3ème Etranger bloquent une éventuelle issue.
La nasse est refermée. Cependant, rien n'est joué. Dans ce maudit terrain, la ferka peut se retrancher et tenter de tenir jusqu'à la nuit. Il n'est plus de manoeuvre savante possible, maintenant. La journée est trop avancée pour faire donner les appuis lourds, après avoir reculé légèrement pour éviter les "égratignures". Dans un tel relief, le seul vrai recours est le napalm, mais les B-26 de l'armée de l'air ou les corsaires de l'aéronavale ne peuvent être partout.
La situation est claire. Comme toujours, en final dans pareil cas, un combat d'homme à homme va devoir s'engager. D'un coté, des combattants farouches, résolus, bien dissimulés dans le relief accidenté; de l'autre, les jeunes paras, sportifs enthousiastes, bien armés, mais qui devront avancer poitrine nue.
Soudain, ce que personne n'attendait, ou du moins n'escomptait se produit. De toutes parts, les sections au contact de l'ennemi se lancent en avant, comme si un mystérieux mot d'ordre, secrètement colporté avait enjoint l'assaut. Et pourtant aucun n'a été lancé de vive voix ni sur les ondes. Chacun a senti l'adversaire à sa portée et s'est engagé crânement!
Qui est parti le premier? Nul ne le saura jamais. Contagion de l'exemple; réaction en chaîne.... En guerriers chevronnés, les paras se ruent sur l'ennemi. Comme d'instinct, les binômes se forment.
- Tu me couves! j'avance
- A toi, à moi!
Rafales, bonds en avant, l'un protégeant l'autre. Le 18ème se sent invulnérable. Les défensives nettoient les fourrés. Les MAT 49 arrosent généreusement tout ce qui bouge ou qui semble bouger.
En face, les djounouds voient leur mort dans cette vague déferlante qui les submerge. Comment résister à cet ennemi endiablé qui jaillit partout? Pourtant, certains se sont mieux retranchés. Un petit groupe a même profité d'une paroi rocheuse. Tapis dans des creux de rochers, un ultime carré de fells refuse de se rendre.La position est solide. Comment la réduire? Le Sous-Lieutenant Daniel Langlois, celui-là même qui , peu auparavant a sauvé Masselot, est l'un de ces jeunes chefs de section qui , à l'image de leurs anciens, les Génin, Chaborel, Lair, mènent en personne leurs hommes au feu. Il a repéré le réduit dans la falaise. En un éclair, il voit la situation.
Des deux mains il agrippe la roche et il grimpe. De vire en vire, il s'élève. Encore quelques tractions et il pourra alors dégoupiller sa grenade, faire taire les derniers tireurs. Langlois ne connaîtra pas le succés final. Un djoundi a repèré l'audacieux; son Mauser claque. Langlois lâche prise et bascule, mortellement touché. Ses chasseurs le vengeront.
Il n'est pas le seul à être tombé pour ne plus se relever. Le Caporal Gillet, un enfant du nord a été , lui aussi atteint à bout portant. Petit gradé, il paya d'exemple à la tête de son équipe. Il voulait que chacun, en cette journée se montre héroïque.
Un homme seul remonte la pente. Habituellement il marche avec le 18ème. Par exception, ce 26 mars, il a tenu à sortir avec une compagnie du 8ème RPIMA qui, l'avant-veille, a perdu l'un des siens, le Sous-Lieutenant Miura, un séminariste, un volontaire para. Cet homme seul n'a pas d'arme; il ne porte sur le dos qu'une musette; sur le devant de sa tenue camouflée brille simplement une croix pectorale. C'est le "Padre", le Père Hiriart, de Saint-Etienne-de-Baigorry, l'enfant du lointain Pays Basque. Son généreux sourire est toujours là pour conforter les énergies aux heures difficiles. A la jumelle, il a suivi l'action de Langlois et son dénouement. il veut cette fois encore, porter le secours de son ministère. On l'a vu, sous le feu, impassible, donner l'absolution.
Le "Padre" arrivera trop tard. L'hélicoptère sanitaire aura déjà décollé. C'est de cet hélicoptère, en plein ciel d'Algérie que le Sous-Lieutenant Langlois, vingt-deux ans, s'en ira vers le paradis des guerriers.
Le soleil décline sur le sidi-Mahrouf. Tout est fini. Le silence est retombé. Une ferka a été anéantie. Une mitrailleuse, une trentaine d'armes ont été récupérées. La "furia francese" du 18ème a payé. Du bon travail , à la légionnaire!
Quelques uns des participants de la CA
Source : Troupes d'élite n° 72
Excellent récit d'une journée que j'ai eu le privilège de vivre en tant que voltigeur au sein de la 3ème section de la CA commandée par le S/Lieutenant Langlois. Dans ce texte, je n'ai trouvé qu'une petite erreur, bien sur corrigée : L'auteur attribuait l'indicatif "vert" à la 3ème compagnie, alors qu'en fait il s'agissait de la CA (Compagnie d'Appui).
Il a aussi omis de parler du blessé que nous avions eu dans nos rangs : le para François Messina fut sérieusement touché au bras.