Jour-J: le saut dans la nuit du parachutiste américain Burgett
Publié le 29.05.2014, 17h27
Le vétéran américain Donald R. Burgett, 89 ans, montre une photo de lui en uniforme, le 29 avril 2014 à Howell, au Michigan |
Joshua Lott 1/3
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"Levez-vous et sanglez-vous !", lança aux parachutistes le commandant de l'avion, qui volait désormais très bas au-dessus des côtes normandes.
Plié en deux, cramponné à son parachute, Donald Burgett, une vingtaine d'années, se mit debout dans l'embrasure de la porte ouverte et sauta, comme les autres soldats venus participer à la première vague du Débarquement sur les plages de Normandie en France, le 6 juin 1944.
"On est tellement entraîné qu'on obéit c'est tout", explique M. Burgett, 89 ans, ancien combattant de la 101e division aéroportée, qui va revenir en Normandie le mois prochain pour célébrer le 70e anniversaire du Jour-J.
En tombant, il compta trois secondes avant d'ouvrir son parachute. Il vérifia que les panneaux s'ouvraient correctement et, plus tôt qu'il ne le pensait, toucha le sol - durement.
Il entendit le bruit de l'artillerie allemande et vit des balles traçantes dans la nuit. Au moment où il commençait à enlever son harnais, il vit un autre avion arriver à très basse altitude.
"Les hommes sortaient de l'appareil mais les parachutes ne s'ouvraient pas. Je pouvais les entendre tomber. On aurait dit une citrouille géante qui éclatait sur le sol. C'était probablement 16 à 17 soldats sans parachute".
Il y avait des échanges nourris de coups de feu pas loin, mais c'était difficile de savoir à quelle distance. Burgett se fraya tout seul un chemin à travers les buissons, espérant croiser un autre soldat de son 506e régiment parachutiste.
Il entendit alors un bruit et aperçut quelqu'un qui s'approchait. "J'ai vu une silhouette qui bougeait dans la pénombre. Je l'ai prise pour cible et j'ai fait sauter la sécurité de mon pistolet".
Il prononça alors le mot de passe, "Flash" (éclair), et attendit le mot qui devait venir en réponse, "Thunder" (tonnerre), mais ce fut le silence. Il répéta le mot de passe et s'apprêtait à dégainer quand il reconnut un parachutiste de son camp.
"Je lui ai dit, espèce de sourd-muet, pourquoi tu ne m'as pas répondu ? Et il m'a dit +Don, ma voix est éraillée et je ne peux rien dire (...) J'espérais que tu ne me tirerais pas dessus+".
- Ration au goût de festin -
Son unité était chargée de sécuriser la chaussée derrière Utah Beach (l'une des plages du débarquement), de laisser place nette aux soldats qui atterrissaient en quelques heures. Mais les projets de rassemblement des parachutistes échouèrent tant les soldats arrivaient en ordre dispersé.
Après avoir erré dans la confusion, Burgett finit par trouver son commandant et des hommes de son unité, ainsi que des soldats de la 82e division aéroportée. A la levée du jour, ils arrivèrent au village de Ravenoville.
En éclaireur, Burgett rencontra de jeunes Françaises tout sourire qui lui proposèrent du vin. "J'ai refusé. Je voulais garder toutes mes capacités pour tirer", raconte-t-il.
Les jeunes filles allèrent chercher une femme plus âgée, une professeur d'anglais qui leur expliqua où ils se trouvaient, soit à 18 kilomètres de l'endroit où ils étaient censés atterrir.
Mais "des soldats allemands avaient pris le contrôle d'une ferme là-bas", devenue poste de commandement, raconte M. Burgett.
Son commandant ordonna d'attaquer la ferme. Une mitrailleuse allemande faucha cinq parachutistes. Burgett et d'autres soldats lancèrent des grenades à l'intérieur, faisant fuir les Allemands.
Les parachutistes prirent rapidement le contrôle de la ferme, où Burgett dormit cette nuit-là et prit son premier repas depuis son arrivée sur le sol français : une ration de porc et d'oeufs qui avait le goût d'un "festin" pour lui.
Burgett, qui se déplace aujourd'hui avec un déambulateur, dit qu'il ira en France pour revoir les anciens champs de bataille et rendre hommage aux soldats qui n'en sont pas revenus vivants.
"Ce sera sans doute la dernière fois que je m'y rendrai", déclare-t-il dans son salon à Howell, dans le Michigan (nord), la petite ville où il a travaillé après la guerre - notamment dans le bâtiment - et élevé sa famille.
source LE PARISIEN