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The Daily Telegraph - L'article original (en anglais)
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Un ancien combattant britannique de la Seconde Guerre mondiale raconte comment ce 70
e anniversaire du Débarquement est pour lui la dernière occasion d'honorer le souvenir de ceux qui ne sont pas revenus de Normandie.
Albert Jenkins, des Sherwood Rangers, sur la plage de Gold, entre Asnelles et Ver-sur-Mer (Calvados). Photo de Robin Savage
C’est par hasard, alors qu’il arpentait le cimetière militaire britannique de Saint-Manvieu (Calvados), dans l’arrière-pays normand, que Ted Robert est tombé sur cette sépulture. Il s’est arrêté pour l’examiner parce que la pierre tombale était ornée du badge des Glasgow Highlanders, son ancien régiment.
“Et J. V. C. Verbitsky, ce n’est pas un nom qu’on oublie, souligne-t-il. C’était un ami, un ami un peu à part. En fait, je ne savais pas qu’il était tombé au combat. Je n’avais jamais pensé qu’il avait pu ne pas survivre à la guerre – jusqu’à cet instant.”
Pour Ted Roberts et bien d’autres, les champs de bataille et les cimetières de guerre du nord de la France ne sont pas des curiosités historiques : ce furent des lieux de souffrances bien réelles. Pendant près de soixante-dix ans, Ted Roberts a imaginé Joe Verbitsky en vie, quelque part dans le monde, sans doute dans son Ecosse natale, fondant une famille, menant une carrière professionnelle, vieillissant. Mais cette vie-là n’existait nulle part ailleurs que dans son imagination. Verbitsky est mort le 26 juin 1944, victime des combats titanesques qui suivirent le débarquement de Normandie. Ted Roberts aurait tout aussi bien pu être à sa place, dans cette tombe normande, mais le destin a été plus clément avec lui quand, quelques semaines après la mort de Verbitsky, il s’est retrouvé dans la ligne de mire d’un tireur allemand.
En 1944, Ted Roberts a 19 ans, il est soldat d’infanterie dans un régiment écossais – résultat, pour ce Londonien, d’un accident administratif comme la guerre en produit tant. Les Glasgow Highlanders livrent une féroce bataille contre des unités de la Waffen SS sur la cote 112, site stratégique au sud de Caen. “Je me suis mis à courir en zigzag pour être plus difficile à viser, se souvient-il. Et tout d’un coup j’ai été poussé en arrière, comme tiré par une énorme main. Je suis tombé sur le dos, mon fusil est parti d’un côté, mon casque de l’autre. J’ai compris que j’étais touché, mais je n’osais plus remuer un cil – sinon il m’aurait à nouveau tiré dessus. Je ne pouvais même pas chercher à limiter l’hémorragie, je ne pouvais rien faire du tout. Je suis resté là, à terre, pétrifié, pendant ce qui m’a paru des heures.”
Ted a aujourd’hui 88 ans, mais il sera en Normandie pour les célébrations du 70e anniversaire du Débarquement [les 5 et 6 juin]. L’âge ayant déjà nettement clairsemé les rangs, ce sera le dernier rassemblement d’anciens combattants digne de ce nom. Elizabeth II, née un an après Ted Robert, sera là elle aussi pour prendre part à ce que beaucoup annoncent déjà comme l’une de ses dernières apparitions officielles à l’étranger.
Ted part avec la Not Forgotten Association, une organisation de bienfaisance spécialisée dans les rencontres entre militaires à la retraite ayant subi des traumatismes physiques ou psychologiques. Il y aura à ses côtés d’autres anciens combattants de conflits lointains ou récents, de la Seconde Guerre mondiale à l’Afghanistan.
“Et subitement, j’entends gronder des chars à l’approche, poursuit Ted Roberts. Là, j’ai commencé à avoir vraiment peur. Si c’était des chars allemands, ils allaient m’écraser. Si je bougeais, j’allais de nouveau me faire tirer dessus. C’est au moment où le char m’arrivait dessus que j’ai décidé de me lever et de prendre la fuite. Et là, j’ai eu la joie d’entendre un Britannique crier : ‘Bon, ils sont où ces Boches, à la fin ?’ La balle m’avait traversé le bras gauche et pulvérisé l’os, mais j’ai eu de la chance : quelques centimètres plus à droite, et c’était le cœur.” Ted Roberts a ensuite été rapatrié : sa guerre était terminée.
Régulièrement, il se remémore ce mois de trouille et d’excitation en Normandie : le jour où, passant la tête à un coin de rue, il a vu deux Allemands approcher (et en a abattu au moins un) ; ou celui, dans un autre registre, où il a “libéré” des tonneaux entiers de cidre d’une ferme.
“Les Français ont un formidable sens de l’hospitalité, dit le vieil homme. Aujourd’hui encore, ils nous arrêtent pour nous remercier, nous, les anciens combattants. Ça fait chaud au cœur. Nous sommes de moins en moins nombreux, mais enfin, c’est la vie : nul n’est éternel. J’essaie de venir tous les ans. L’année dernière, j’ai trouvé la tombe de notre chef de peloton, le lieutenant Keeble. Il avait 30 ans. Lui non plus, je ne savais pas qu’il était mort. On vous évacuait illico, quand vous étiez blessé. Et là, en un clin d’œil, vous perdiez de vue votre unité et vos copains. Après la guerre, chacun est parti de son côté. Moi, j’étais à Londres, et beaucoup de ceux que j’ai connus venaient d’Ecosse. Alors voilà… A l’époque, on ne voyageait pas.”
Chaque année, avant son départ pour la Normandie, Ted Roberts fabrique des croix qu’il laissera sur les sépultures. “C’est la moindre des choses, je trouve, de rendre hommage à tous ceux qui ne s’en sont pas sortis, explique-t-il. Je n’y vais pas pour recevoir des lauriers. Ce que je veux, c’est honorer le souvenir des gars. Un léger décalage de cette balle, et je ne serais plus là aujourd’hui. Je me considère comme un homme très chanceux, je me dois de rendre visite à ceux qui ont eu moins de chance. Tant que je serai vivant, la Normandie ne mourra pas.”