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| La Légion étrangère dans la guerre d’Algérie, 1954-1962 . | |
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FOUQUET66 Expert
| Sujet: La Légion étrangère dans la guerre d’Algérie, 1954-1962 . Ven 7 Oct 2016 - 16:35 | |
| Lors du déclenchement de l’insurrection en Algérie, plus de la moitié des effectifs de la Légion sont encore présents en Indochine, et le Dépôt commun des régiments étrangers doit panser les blessures de Diên Biên Phu avant même de prendre en compte les opérations dites de maintien de l’ordre. Le rapatriement d’Extrême-Orient des régiments achevé, un nouveau défi doit être relevé avec le regroupement des régiments implantés tant au Maroc qu’en Tunisie. Le commandement assure la transition aux moindres frais en raison des nombreux problèmes soulevés par le recrutement, l’instruction et l’emploi d’une troupe usée, fatiguée et qui doit être renouvelée au plus vite. En effet, les stigmates de l’Indochine ont creusé les rangs des régiments éprouvés par huit années de combats incessants et meurtriers. Les pertes — les plus élevées du corps expéditionnaire en Extrême-Orient — à elles seules expriment l’ampleur de l’épreuve : 37,2 % des effectifs engagés entre 1945 et 1954, soit 27 098 hommes sur 72 833. Toutefois, la tâche n’est pas de tout repos. Les séquelles de la guerre — notoirement les désertions en augmentation sensible, le renouvellement du recrutement — vont peser dans les premières mesures adoptées pour redresser la situation jugée préoccupante. Déjà, en septembre 1954, le colonel commandant le Groupement autonome de la Légion étrangère, le GALE, au terme d’une dernière inspection en Indochine, s’était ouvert au général Ely, récemment nommé commandant en chef et commissaire général en Indochine. Il mettait en relief la nécessité de reprendre en main la troupe en fixant « l’objectif des chefs de corps (de Légion) de conserver au plus haut degré possible la cohésion, la discipline, l’instruction de leurs régiments, en prévoyant loin » ...
Le regroupement en terre africaine
Dans les premiers mois du conflit, le seul régiment implanté en Algérie, le premier régiment étranger d’infanterie (1er REI), est en mesure de lever un bataillon de marche aussitôt dirigé sur l’Ouarsenis pour la première mission de maintien de l’ordre. Les effectifs sont en partie réalisés par prélèvements dans les compagnies de passage de la « Maison Mère », les pelotons d’élèves gradés et les compagnies d’instruction de Saïda, de Mascara, du Kreider, Bedeau et Méchéria. Le repli et le regroupement des régiments encore implantés en Indochine et au Maroc s’effectuent en deux temps, compte tenu de l’évolution de la situation générale en Afrique du Nord. Les troubles en Tunisie comme au Maroc conduisent le commandement à opérer dans l’urgence des changements d’implantations des unités.
La première phase touche les corps de Légion concernés par l’application des accords de Genève qui doivent évacuer le Tonkin d’abord, l’Annam ensuite, la Cochinchine enfin. La libération des prisonniers du camp retranché de Diên Biên Phu permet un premier regroupement des unités. C’est ainsi que, dès le 15 décembre 1954, un premier contingent, le 3e régiment étranger d’infanterie (3e REI), très éprouvé, diminué et affecté par une vague de désertions lors de la traversée de la mer Rouge et du canal de Suez, débarque à Alger. Les quatre bataillons sont aussitôt dirigés sur Djidjelli et Sétif avant d’être engagés dans la région d’Arris. C’est au tour du 2e régiment étranger d’infanterie (2e REI) de rejoindre Bizerte, le 23 février 1955, mais il est destiné à opérer au Maroc jusqu’à l’accession à l’indépendance du protectorat. Dès juin 1956, les légionnaires du 2 « pitonnent » en Petite Kabylie. Le 1er bataillon étranger parachutiste (1er BEP) quant à lui débarque à Mers-el-Kébir le 25 mars 1955 : regroupé dans le Sud constantinois, après avoir reçu des renforts, il est transformé en régiment le 1er septembre suivant. Les retours se succèdent au cours de l’année. Le 2e bataillon étranger parachutiste (2e BEP) — débarqué dans l’ouest algérien le 18 novembre — suit les traces du 1er BEP quelques jours plus tard ; il est également transformé en corps régimentaire. La 13e demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE) rejoint l’Afrique du Nord entre juin et juillet 1955 avant d’être dépêchée dans le Constantinois pour participer au rétablissement de l’ordre après les massacres de Philippeville et d’El-Halia des 20 et 21 août. En novembre 1955, les légionnaires du 1er régiment étranger de cavalerie retrouvent leur ancienne garnison de Sousse abandonnée depuis 1939. Le retour du régiment du Tonkin, le 5e régiment étranger d’infanterie (5e REI), s’échelonne de février à avril 1956, alors que la guerre s’est installée dans l’ensemble du territoire algérien, plus particulièrement dans l’est.
La deuxième et ultime phase de regroupement des unités de la Légion étrangère qui retrouvent leur terre d’élection s’effectue entre octobre 1956 et mars 1957, avec le repli du 2e régiment étranger de cavalerie (2e REC) et du 4e régiment étranger d’infanterie (4e REI), le régiment du Maroc qui abandonne définitivement les garnisons réparties entre Agadir et Midelt au sud, et Meknès et Fès au nord pour le secteur de Tebessa. Désormais, la Légion peut aligner en Algérie une dizaine de régiments et trois compagnies sahariennes portées de légion (CSPL) au Sahara, réparties entre Aïn-Sefra (1re CSPL), Laghouat (2e CSPL) et Sebha au Fezzan (3e CSPL).
Une transition délicate (1955-1957)
Le retour et le redéploiement en Algérie se font dans un climat tendu. Tous les régiments sans exception, touchés par une baisse sensible du moral relevée par les chefs de corps, ont dû faire face à plusieurs vagues de désertions, tant lors des retours d’Indochine par voie maritime qu’au Maroc et en Algérie. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre le 1er novembre 1954 et le 27 janvier 1956, le nombre des déserteurs en fuite s’élève à 653, soit 35 par mois et 3 pour mille contre 2,2 pour mille dans les troupes nord-africaines. La situation est plus particulièrement préoccupante au 3e REI,.... Les régiments encore au Maroc, les 2e et 4e REI ainsi que le 2e REC, sont sérieusement affectés avec 42 désertions par mois en 1955 : l’usure comme la lassitude de la troupe sont relevées dans des rapports alarmistes qui vont peser dans les décisions du commandement. Il faut agir vite, frapper fort afin de mobiliser des cadres parfois désabusés. Le redressement passe par des mesures d’urgence, mais aussi et surtout par une politique adaptée à la nouvelle donne.
Dans une note datée du 28 mars 1956, le colonel Lennuyeux met en garde l’état-major sur l’emploi des légionnaires qu’il juge abusif. Il lance un avertissement en s’appuyant sur les renseignements recueillis par le service d’immatriculation de la Légion (SIL) et le bureau des statistiques de la Légion étrangère (BSLE) : « Nous ne devons pas nous leurrer sur les sentiments du légionnaire à notre égard. Qu’on le veuille ou non, le prestige de la France est ébranlé, et il est plus difficile qu’autrefois de faire sonner les grands mots d’honneur et de fidélité dans le cœur de soldats déçus qui ont tendance à se considérer comme des mercenaires véritablement exploités. La propagande rebelle ne se fait d’ailleurs pas faute de le souligner » .... Cependant, il y a lieu, pour évaluer avec plus de précision la crise qui affecte la Légion et mesurer l’impact réel de la désertion dans les unités, de distinguer les désertions avec ou sans emport d’armes et de munitions des désertions au cours de l’instruction, traditionnellement plus nombreuses.
Il est vrai que le légionnaire sait que les sanctions sont légères : la plupart des peines avec sursis ne sont pas ou peu dissuasives. En effet, l’instruction ministérielle du 26 avril 1934 qui fixe le délai de repentir du militaire pour rejoindre son unité en fonction de sa situation autorise une interprétation libérale du texte. L’article 408 du code de justice militaire portant sur la désertion à bande armée prévoit la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans. La réclusion à perpétuité est requise si le complot est avéré. C’est le cas d’un engagé volontaire allemand de vingt et un ans qui déserte pendant l’instruction et qui est repris deux mois plus tard lors d’un accrochage avec une bande armée. Après huit mois de préventive, le tribunal militaire le condamne à deux ans de prison avec sursis, et le commandement de la Légion étrangère résilie son contrat, probablement par suite d’une intervention extérieure... Si 950 légionnaires ont déserté entre le 1er novembre 1954 et le 30 novembre 1956, seulement 39 d’entre eux sont partis en emportant leurs armes. Car le légionnaire cherche avant tout à rejoindre son pays, déçu par l’instruction ou las d’une guerre qui n’est pas la sienne, mais rarement gagné par la propagande du Front de libération nationale (FLN). D’après le bureau des statistiques de la Légion étrangère (BSLE), près de 7 % des déserteurs auraient rejoint les rangs du FLN. En revanche, les défaillances de sous-officiers sont exceptionnelles. Faut-il rappeler que ce corps occupe une place centrale dans la Légion ? Il assure et assume la cohésion au sein des unités. Le réseau de désertion mis en place à Tétouan par un Allemand, candidat malheureux à l’engagement et refoulé par le poste de recrutement de Landau le 2 février 1951, bénéficie de la bienveillance des autorités marocaines. Cette organisation qui bénéficie du soutien logistique du FLN favorise les désertions plus particulièrement grâce à une propagande efficace. De plus, Si Mustapha, alias Winfried Müller, met en place un service de rapatriement qui inquiète les autorités françaises ....
La riposte ne se fait pas attendre. Malgré les difficultés du recrutement depuis 1954, le commandement décide de renforcer le dispositif de filtrage et de procéder à la radiation des engagés volontaires fichés selon la « cotation du degré de nocivité », dite « ODS ». Le fichage permet de prévenir certaines désertions par un contrôle renforcé des candidats à l’engagement dont le passé est jugé compromettant ou dangereux pour la Légion. Alors même que les attaques contre la Légion redoublent d’intensité en République fédérale d’Allemagne — les campagnes de presse se succèdent, relayées par les initiatives au Bundestag de certains parlementaires sociaux-démocrates et des pressions exercées au sein du gouvernement Adenauer, embarrassé depuis le rapprochement avec la France dans le cadre de la politique européenne et de la coopération scientifique dans le domaine nucléaire avec l’accord de Colomb-Bechar du 12 mars 1956—, la source de recrutement germanique, Allemands et Autrichiens, ne se tarit pas : plus de 40 % des candidats en 1957 dont la moyenne d’âge est inférieure à vingt et un ans.
Répondant au vœu du commandement, comme un démenti des prévisions pessimistes de certains officiers, la Légion retrouve sa physionomie de l’après Seconde Guerre mondiale avec une proportion élevée d’Allemands, 50 % au plus fort de la guerre d’Algérie. Le rajeunissement de la troupe constitue un atout dans le type de guerre qui impose une préparation physique intense. Aussi, la durée de l’instruction portée à vingt semaines permet une meilleure prise en main de l’engagé confronté à l’épreuve de la rupture et aux rites de passage et d’intégration au groupe. Le renforcement de la discipline assure une plus grande cohésion dans une troupe fragile et parfois instable, particulièrement rajeunie, soumise aux influences extérieures et aux appels à la désertion. Le redressement est assuré en grande partie par l’amélioration de l’encadrement, notamment en sous-officiers plus jeunes, afin de compenser le déficit en officiers (3 027 pour 2 907 théoriques). Les anciens, souvent atteints — et guéris ? — du syndrome indochinois, font bénéficier de leur longue expérience les jeunes recrues et les préparent au combat rapproché et au tir d’instinct. Les opérations de bouclage-ratissage qui tombent le plus souvent dans le vide leur font découvrir le terrain à défaut de l’ennemi qui se dérobe devant le déploiement des forces de l’ordre.
Mais les régiments de la Légion étrangère ne représentent, en août 1958, avec l’arrivée des derniers renforts en provenance de Tunisie et du Maroc, que 5 % des effectifs de l’armée de terre engagés dans les opérations dites de maintien de l’ordre. De quel poids peuvent-ils peser dans la conduite de la guerre ? L’expérience indochinoise des « vieux » soldats peut-elle servir aux nouveaux venus, cadres et jeunes engagés volontaires ? Le défi pour la Légion est à la mesure de l’enjeu dans une guerre qui implique toute l’armée française : unités constituées de soldats de métier, régiments d’appelés et de rappelés, corps de l’ancienne armée d’Afrique et de la Coloniale, forces supplétives enfin. À la fin de l’année 1957, un premier bilan peut être établi, qui permet de mesurer le chemin parcouru en trois ans. Depuis la dissolution du Dépôt commun de la Légion étrangère (DCLE), le 1er juillet 1955, le 1er RE est en charge de l’administration, de l’accueil des engagés volontaires ainsi que du triage et des opérations de filtrage jugées indispensables pour la sécurité, mais aussi de l’instruction et du perfectionnement des gradés comme de toutes les opérations de libération en tant qu’organe liquidateur. Le régiment, véritable école du légionnaire, du gradé et passage obligé de tout officier, malgré un effectif pléthorique de 4 443 hommes, n’est en mesure de fournir qu’un bataillon d’intervention de 330 hommes en soutien des forces du secteur. La réorganisation des régiments est pratiquement achevée à l’issue de ces deux années difficiles, mais ouvre la voie aux innovations tactiques attendues, tant à Alger que parmi les officiers impatients d’en découdre avec les moudjahidine de plus en plus entreprenants.
Le redressement : 1958-1960
La réorganisation accompagnée du resserrement ne donne cependant pas entière satisfaction à tous les jeunes cadres. La décision prise au printemps de 1958, en pleine bataille des frontières, par le général Salan et qui concerne le redéploiement des régiments les plus engagés dans les opérations, est lourde de conséquences pour la Légion et le moral des légionnaires. Tous les régiments ne sont pas logés à la même enseigne. Aussi, de la répartition des missions dévolues aux unités dépend leur nouvelle organisation à l’origine de tensions perceptibles lors du passage des cadres à la « Maison Mère ».
Les deux unités régimentaires de création récente se détachent du lot. Les 1er et 2e REP, avec l’abandon du modèle bataillonnaire de type Blizzard, devenus unités « interarmées » avec un effectif théorique de 1 200 hommes, sont rattachés pour emploi à la 10e division parachutiste (10e DP) et à la 25e DP mises sur pied en juillet 1956. L’ordre très souple de l’état-major tactique — deux par régiment — constitué à partir de la compagnie de commandement (et des services), des quatre compagnies de combat, de la compagnie d’appui (mortiers et canons de 75 sans recul) et d’un escadron de reconnaissance, apporte une première réponse au problème posé par un adversaire mobile qui conserve l’initiative. Les paras légionnaires vont participer activement aux grandes opérations et ravir la vedette aux autres régiments moins bien traités par le haut commandement. De plus, exception dans la Légion pendant le conflit, le 1er REP fait l’expérience de la guerre urbaine au sein de la 10e DP lors de la bataille d’Alger de janvier à mars, et entre août et octobre 1957. La recherche du renseignement devient prioritaire pour ces soldats peu préparés aux missions de police. Le lieutenant-colonel Jeanpierre exige de ses subordonnés autant d’efficacité que dans le djebel. Le commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, détaché depuis peu à l’état-major de la 10e DP comme chargé des relations publiques, qui côtoie ses camarades soumis aux pressions de la hiérarchie, témoigne des doutes et du malaise s’installant parmi ceux contraints à des pratiques que les lois de la guerre réprouvent. À la villa Sésini, pendant la première phase de la bataille de janvier à mars, le capitaine Faulques, officier de renseignement du régiment, pratique des interrogatoires renforcés et contrôlés, en application des instructions données par le commandement. Selon le commandant Ruat de la section P du système de renseignement, action, protection (RAP) adopté le 2 août 1956 et mis en place à Alger au sein du centre de coordination interarmées, « l’interrogatoire pose souvent un cas de conscience plus ou moins aigu chez les gens appelés à le pratiquer ». Les instructions précisent notamment la mission comme les objectifs du service de contre-espionnage qualifié d’opérationnel et ne poursuivant « aucun but judiciaire ». Avec l’arrestation de Yacef Saadi, le 24 septembre, et la mort d’Ali la Pointe, le 8 octobre, dans l’explosion de la cache de la casbah où il s’abritait, la publicité faite autour de cette dernière affaire rehausse le prestige de Jeanpierre et contribue à « distinguer » le 1er REP des autres régiments de la Légion.
D’autres missions attendent les deux REP. L’ALN lance dans la « bataille des frontières » des katibas bien équipées et mieux encadrées pour forcer les deux barrages, entre décembre 1957 et mai 1958. Les légionnaires du 2e REP, familiarisés avec un terrain difficile qui constitue leur zone d’activité de l’Est algérien — la presqu’île de Collo, de la région de Philippeville et des Aurès où les combattants de l’ALN gardent l’initiative —, aguerris par des opérations nombreuses avec leurs camarades de la 25e DP, sont bien préparés à affronter un adversaire plus pugnace et plus déterminé que jamais, ce malgré un encadrement insuffisant : un tiers de jeunes sous-officiers chefs de section dont la moyenne d’âge n’atteint pas trente ans .
Pendant six mois, de part et d’autre de la ligne Morice (frontière algéro-tunisienne) et de la ligne Pédron (frontière algéro-marocaine), outre les parachutistes, deux régiments de Légion, les 3e et 4e REI, en tant que forces de secteur, vont être engagés dans les opérations et tester leurs capacités d’adaptation à la nouvelle forme de guerre. Au plus fort de l’offensive entre avril et mai 1958, le 1er REP perd son chef, le lieutenant-colonel Jeanpierre, tué le 29 mai au cours de la manœuvre qu’il dirigeait à partir de son Alouette. Le bilan appelle un commentaire. Il témoigne de l’engagement des légionnaires, de la pugnacité de l’adversaire, mais aussi d’un style de commandement qui suscite des réserves parmi les officiers éprouvés par le rythme imposé par leur chef. À s’en tenir au seul ratio des pertes « amies/ennemies » et au rapport des forces sur le terrain, les pertes comptabilisées, le seul 1er REP perd au combat, au cours de l’année 1958, 116 tués et 260 blessés contre 1 297 combattants de l’ALN, soit un ratio de 1/10, parfois de 3/10 lors des accrochages les plus violents.
Les efforts de l’Inspection technique de la Légion étrangère (ITLE) et de son chef, le général Gardy, dans le domaine de la sélection plus sévère des candidats à l’engagement et dans une instruction plus poussée, donnent des résultats attendus. Désormais, les engagés volontaires sont préparés au combat au cours de l’instruction par insertion dans les unités engagées dans les opérations des secteurs autour de Sidi-Bel-Abbès. Le général Salan, gagné aux thèses de la « jeune armée », se résout enfin à une réorganisation des unités insuffisamment manœuvrières. Pour la Légion, le choix se porte, dans un premier temps, sur les 3e et 5e REI et la 13e DBLE, par l’abandon du modèle d’unité TED 107 (tableau d’effectifs et dotations) trop lourd. Restent sur la sellette les deux régiments d’infanterie portée, les 2e et 4e REI, transformés en groupements de compagnies portées pour répondre à la tactique retenue par Alger. Quant aux deux régiments de cavalerie, le 1er et le 2e REC, ils perçoivent un matériel moderne, les engins blindés de reconnaissance (EBR), plus adapté au théâtre d’opérations. Ces régiments de secteur et/ou affectés aux missions ingrates et peu glorieuses de la « herse » subissent des pertes relativement élevées eu égard à l’importance des engagements, et pâtissent du sort qui leur est fait au profit des unités des « réserves générales » mises sur pied en décembre 1958 par le nouveau commandant en chef, le général Challe, à son arrivée à Alger. L’esprit de corps de ces régiments souffre déjà du dédain parfois affiché par leurs camarades plus chanceux, oubliés dans une guerre défensive qui ne convient pas aux légionnaires dont l’orgueil souffre aussi d’une relative désaffection de l’inspection à leur égard ,le mauvais état du réseau routier et l’usure du matériel....
La reprise en main se traduit par une accalmie sur le front des désertions dont le taux diminue sensiblement : les défections touchent d’abord les jeunes engagés à l’instruction, rarement des légionnaires blanchis sous le harnais . Désertions pour l’ensemble de la Légion : deux pour.... Il faut relever la situation d’un régiment prestigieux qui a beaucoup donné en Indochine. Les rapports sur le moral aux commandants d’unité du 3e REI traduisent l’inquiétude des cadres devant l’état de délabrement de la troupe soumise à des sorties incessantes et éprouvantes et forcée de subir des conditions d’hébergement précaires. Les aumôniers comme les médecins tirent la sonnette d’alarme. Sans grands résultats. Malgré ces difficultés et ces tensions latentes, la troupe rajeunie, avec un encadrement renforcé à partir de 1958, notamment dans les REP avec 16,5 % et 17 % de sous-officiers et d’officiers, mieux commandée, peut affronter avec plus d’assurance un adversaire longtemps sous-estimé. Le temps des opérations de bouclage et ratissage du terrain des années 1955-1956 a laissé des traces : le moudjahid, perçu comme un simple rebelle capable de porter des coups par surprise mais prompt à se dérober et à éviter l’affrontement direct, laisse la place au combattant équipé et plus expérimenté.
Les opérations offensives lancées dans le cadre du plan Challe, destinées à asphyxier la résistance de l’intérieur après la fermeture des frontières, donnent l’occasion aux légionnaires de montrer leur savoir-faire dans le combat de contre-guérilla. Le nouveau commandant en chef innove et bouscule les habitudes prises dans les secteurs, sous-secteurs et quartiers depuis le début de la guerre, qui ont conduit aux blocages hérités du syndrome indochinois dénoncé par les officiers les plus dynamiques. Les réserves générales sont constituées autour des deux divisions parachutistes, de la 11e division d’infanterie et des différents commandos de chasse, de la marine et de l’air, renforcés par des troupes de secteur. Six des dix régiments de la Légion sont alternativement engagés dans les grandes opérations entre février 1959 et octobre 1960. Le 5e REI et le 2e REP sont de l’opération Couronne dans l’Ouarsenis en février 1959 pour neutraliser les zones refuges d’Oranie ; entre juillet et octobre, quatre des régiments — le 1er REP, les 3e et 5e REI ainsi que la 13e DBLE — participent à la grande opération Jumelles commandée directement par Challe qui entend détruire le potentiel militaire de la Wilaya 3 en Kabylie. De même dans le massif du Hodna, ces unités — exception faite de la 13e DBLE— poursuivent les katibas dans l’opération Étincelles. Entre-temps, Pierres précieuses, dans le Constantinois, permet, dès le 6 septembre, au 2e REP, plus tardivement aux 3e et 5e REI, de se distinguer jusqu’en août 1960. Sans aucun répit, les légionnaires, toujours sur la brèche, sont appelés dans les dernières offensives de la guerre : Courroie, Flammèche dans le sud autour de Djelfa et Biskra avec le 1er REP et le 2e REC en juin 1960, Trident enfin en octobre de la même année dans la région de Kenchela avec le 2e REP et les 3e et 5e REI. L’Atlas saharien n’est pas pour autant négligé. Déjà, en décembre 1957 et janvier 1958, le 1er REP avait été engagé au côté de la 4e CSPL entre Touggourt et Laghouat. Les autres compagnies sahariennes remplissent les missions de surveillance des secteurs qui leur sont assignés, réussissant à accrocher et à neutraliser des éléments infiltrés ou de passage. En décembre 1960, la réduction des katibas dans les cinq wilayas autorise un ralentissement des interventions sur le terrain. Certaines unités, marquées par la fatigue et les pertes, attendent du commandement d’être relevées afin de permettre aux hommes de se préparer à de nouvelles missions. Comme toujours en pareil cas, les légionnaires doivent être entourés par leurs cadres : la rupture subite dans le rythme d’activité peut entraîner une crise du moral susceptible de mettre en péril la cohésion du corps.
La fin de la guerre : le tournant improbable (1961-1962)
Le début de l’année 1961 est marqué par un incident au 1er REP, qui doit être analysé en prenant en compte la situation particulière du régiment au sein même de la Légion étrangère. Déjà impliqués en 1957 dans la guerre urbaine et les sales besognes après une première expérience de contact avec la foule algéroise lors de la journée des tomates, le 6 février 1956, les cadres et les hommes du rang ont dû participer au maintien de l’ordre lors de la semaine des barricades à la fin janvier de 1960. Alors que les autres unités, engagées dans la seule action militaire, n’ont que peu de contacts avec la population européenne des villes, le 1er REP a approché à plusieurs reprises ce milieu qui les porte aux nues depuis la bataille d’Alger, les journées de mai 1958 et les événements de janvier 1960. Leur chef, le lieutenant-colonel Dufour, avait joué un grand rôle dans la sortie de crise, en janvier 1960, en permettant aux derniers insurgés du réduit des facultés d’Alger de se rendre avec les honneurs militaires et de s’engager — pour les plus déterminés à en découdre avec l’ALN — dans le commando « Alcazar » rattaché pour emploi au régiment. Au contact d’une population hostile à la politique d’autodétermination annoncée par le chef de l’État lors de son discours du 16 septembre 1959, gagnés par l’activisme de ses représentants officiels — la majorité des élus — ou officieux — les leaders des organisations créées pour la circonstance —, les cadres du régiment sont peu à peu gagnés aux thèses des partisans de la solution « la plus française » de la question algérienne,le comité d’entente des mouvements nationaux, créé.... Les liens tissés avec les Algéroises et les Algérois depuis leur installation à Zéralda en 1955 vont peser dans la décision du chef de corps du 1er REP de désobéir à la suite de la décision du commandement de le muter en Allemagne, en raison de ses sympathies politiques. Il est, en effet, soupçonné de comploter contre le général de Gaulle dont l’enlèvement est prévu au cours de son voyage prévu du 9 au 13 décembre. En signe de protestation, entre le 6 et le 8 décembre, il disparaît avec le drapeau du régiment, refusant de participer à la prise d’armes de passation de commandement réglementaire au lieutenant-colonel Guiraud qui a été désigné pour lui succéder. Cette première manifestation publique de désaccord avec la politique du gouvernement n’est pas sans effet sur le moral de la troupe déjà gagnée par le doute sur les intentions du chef de l’État. Toutefois, l’équipée burlesque et quelque peu rocambolesque ne fait pas l’unanimité parmi ses camarades pour lesquels l’unité de la Légion doit être préservée, ce d’autant que les propos rassurants du général de Gaulle, le 9 décembre à Aïn-Témouchent, devant les officiers de Légion réunis autour du colonel Favreau, chef de corps du 5e REI, laissent encore quelque espoir d’une issue heureuse au conflit (Témoignage du général Louis Pichon, alors lieutenant-colonel....) Un mois plus tard, à la veille du référendum sur l’Algérie, un nouvel incident survient au régiment, éloigné de la capitale en signe d’apaisement pour opérer dans le Nord constantinois près de la ligne Morice. Le 7 janvier 1961, trois commandants de compagnie refusent de répondre à l’ordre d’opération pour le lendemain et restent au bivouac. À nouveau, le général Saint-Hillier — un ancien officier de la Légion qui a servi à la 13e DBLE — doit intervenir, temporiser avant que les sanctions ne tombent, alourdissant encore le climat au sein du régiment.
L’irréparable survient dans la nuit du 21 au 22 avril, lorsque le commandant de Saint-Marc prend la décision de lancer les hommes dont il assure le commandement par intérim, en l’absence de Guiraud, alors en permission . La participation de la Légion étrangère à la révolte des généraux ne se limite pas au seul 1er REP auquel sont confiées des tâches de simple police (arrestation de généraux, notamment) et de défense des points sensibles ; elle va secouer la vénérable institution dans ses profondeurs et mettre en péril son unité. Le bloc est près de se fissurer. En effet, ces officiers de la Légion, et non des moindres, jouent un rôle central dans la préparation comme l’exécution du coup de force d’Alger. Des anciens du 1er REP bien sûr, tels Sergent, Godot, La Bigne, Ponsolle, Robin du groupe de commandos parachutistes, de La Chapelle, le général Gardy enfin, leur ancien inspecteur dont les liens avec la « Maison Mère » sont très forts. Le colonel Brothier — qui a commandé le 1er REP — à Sidi-bel-Abbès, approché par le général Gardy, tergiverse, mais ne cède pas. Toutefois, d’autres régiments sont prêts à basculer : le ralliement du 1er REC est sans conséquence ; celui du 2e REC n’implique que son chef de corps, le colonel de Coetgourden.
Des défections aux 4e et 5e REI restent sans conséquences : le ralliement des unités est suspendu à l’évolution du mouvement. Les attentistes — ou légalistes — ont sans aucun doute réussi à éviter le pire : l’éclatement de la Légion. Pour les plus anciens, le souvenir de la « petite » guerre de Syrie entre juin et juillet 1941 est dans les mémoires : éviter l’affrontement entre frères d’armes, écarter la menace d’une politisation de la Légion. La tentation prétorienne rejetée par la majorité en dépit des solidarités et des sympathies reconnues pour la cause de l’Algérie française, la reprise en main de la troupe se fait dans la discrétion coutumière à la subdivision d’arme. La suite s’inscrit dans la logique de l’ordre militaire et des lois de la République. La dissolution du 1er REP ainsi que celle des trois autres unités en pointe du coup de force d’Alger, les 14e et 18e régiments de chasseurs parachutistes et le groupement des commandos de l’air, le 30 avril, jour anniversaire de Camerone, si elles suscitent une vive émotion parmi les cadres, ne donnent lieu à aucune manifestation particulière. L’heure est au recueillement. Les habitants de Zéralda, désemparés, à leur départ pour la dispersion dans différentes unités de la Légion, font une ultime haie d’honneur à ces étrangers engagés dans une aventure dont les enjeux les dépassent, pour une guerre qui n’est qu’indirectement la leur. Les cadres impliqués font l’objet de poursuites judiciaires ou de sanctions proportionnelles au degré de leur engagement. Cependant, quelques officiers, sous-officiers et légionnaires désertent et choisissent d’entrer dans la clandestinité au sein de l’organisation de l’armée secrète (OAS). L’heure est grave pour l’institution menacée dans son existence même. L’ingérence politique de quelques-uns d’entre eux, 21 officiers directement impliqués, moins d’une cinquantaine au total sanctionnés sur plus de 620 officiers au tableau d’effectifs, soit une faible proportion, est manifeste mais aussitôt médiatisée. Les conséquences sont prévisibles, après la dissolution du 1er REP, malgré les attentes de certains milieux politiques et au sein même de l’armée. Certains veulent en finir avec les prétoriens et autres « mercenaires » incontrôlables constituant une menace pour le pays.
Le courroux du général de Gaulle est apaisé à l’issue de l’intervention du ministre des Armées qui fait appel à un officier « ancien » du 4e REI, le lieutenant-colonel Vadot, pour plaider la cause de la Légion étrangère. La presse et certains milieux politiques se déchaînent contre la Légion, également mise en cause et critiquée dans certains milieux militaires en raison du maintien de son statut, alors même que l’armée d’Afrique comme les troupes coloniales ont subi les réformes engagées sous la 4e République . La menace de dissolution écartée, les sanctions tombent, mais la discipline est aussitôt rétablie. Pour autant, si les légionnaires repartent apparemment sans état d’âme, le cœur n’y est plus. La reprise des négociations engagées à Évian depuis avril 1961 avec les représentants du gouvernement provisoire de la République algérienne laisse augurer une fin prochaine et rapide des opérations offensives, un temps suspendues. Le moral est au plus bas ; les désertions, au plus bas depuis 1958, reprennent : l’inaction, l’absence de perspectives pour un légionnaire qui veut bouger et déteste rien plus que la caserne et les corvées expliquent bien des départs considérés comme des « ruptures unilatérales » de contrat. Le redéploiement des régiments en vue d’un regroupement dans le Sud algérien ne laisse que peu de choix au légionnaire en fin de contrat. Les accords d’Évian et le cessez-le-feu sonnent le glas de la présence française en Algérie, et par voie de conséquence celle de la Légion sur sa terre d’élection.
Conclusion
Depuis la fin de 1961, les légionnaires s’attendent à vivre les heures douloureuses de l’abandon de leur ville, des quartiers qu’ils ont construits, de cette population qui les a — tardivement et difficilement — adoptés. C’est chose faite, au terme d’une présence ininterrompue pendant cent vingt-deux ans lorsque, le 25 octobre 1962, le dernier détachement du 1er REI quitte la ville après une dernière veillée aux flambeaux dans la cour du quartier Viénot. Ils respectent les dernières volontés de leur grand ancien, le capitaine de Borelli, en procédant à la destruction par le feu du fanion des Pavillons Noirs pris lors du siège de Tuyen Quang. L’essentiel est préservé : les mutations, déflations des effectifs et dissolutions d’unités n’ont pas entamé la détermination des officiers et des « vieux » sous-officiers attachés avant tout à l’institution. L’heure du bilan de la guerre a sonné. La Légion laisse en terre algérienne les tombes de 65 officiers, 278 sous-officiers et celles des 1 633 légionnaires tombés au cours des combats ou morts de leurs blessures. Ces pertes sont à comparer avec le total des tués de l’armée de terre, soit 20 494 pour un effectif moyen de 330 000. Le pourcentage pour les régiments étrangers s’élève à 9,7 % avec un effectif moyen de 19 000. Au-delà des chiffres et des sacrifices consentis — le tribut payé est lourd eu égard à la nature du conflit et à la valeur de l’adversaire —, l’institution tire les leçons d’une expérience politico-militaire en s’insérant de plain-pied et sans arrière-pensée dans la nouvelle armée. La page tournée — malgré une épuration sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale —, le ministre des Armées donne leur chance aux officiers pour faire des régiments étrangers le fer de lance des forces d’intervention en voie de formation | |
| | | | La Légion étrangère dans la guerre d’Algérie, 1954-1962 . | |
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