"On a tiré sur la DS du général de Gaulle" : la fascinante enquête de l'attentat du Petit-Clamart vue par "la Crim'"
Claude Cancès, l'ancien patron du 36, nous fait pénétrer dans le saint des saints, l'un des services les plus prestigieux du Quai des Orfèvres : la Brigade criminelle. La Crim ! Extrait de "Commissaire à la crim'" de Claude Cancès, aux Editions Mareuil (1/2).Bonnes feuilles
Publié le 29 Juillet 2017
Il y a des interrogatoires qui vous marquent, comme celui-ci. Il y en a d’autres qui font partie de l’Histoire. Mon patron Pierre Ottavioli a vécu l’enquête sur l’attentat du Petit-Clamart, on en a souvent parlé ensemble, cette affaire me fascinait. Le 22 août 1962, Ottavioli remonte de Corse en voiture et en famille. Il fait beau, la route est encore celle des vacances puisqu’il s’apprête à passer sa dernière semaine de congés en Bretagne. La radio interrompt ses programmes : « Flash spécial : on a tiré sur la DS du général de Gaulle.
Le chef de l’état est indemne. L’attentat a eu lieu sur la commune du Petit Clamart. » Ottavioli s’arrête au premier café, demande un jeton de téléphone et appelle son patron à la Crim’, Maurice Bouvier.
« C’est nous qui sommes chargés de l’enquête ?
– Oui.
– Vous avez besoin de moi ? Je remonte !
– Je vous attends. »
Il remonte dans sa voiture, sa femme le regarde, elle a compris : « On ne va plus en Bretagne ? C’est ça ? »
Scène classique pour une épouse de policier. En disant « oui » à la mairie, elles ne savent pas toujours qu’elles épousent le 36 ! Depuis quelques mois, l’Algérie n’est plus française, mais l’OAS a juré d’avoir la peau de de Gaulle. Pour l’Organisation de l’armée secrète, le général, alias « la Grande Zohra » ou « Colombey les deux mosquées», est un traître. Composée de pieds-noirs ultras, de militaires jusqu’au-boutistes, l’OAS a déjà tenté de faire sauter sa voiture à Pont-sur-Seine. L’enquête est extraordinaire dans tous les sens du terme. Le numéro 2 de la Crim’ Roger Poiblanc part pour Colombey interroger le général de Gaulle comme un simple témoin. Est-ce l’émotion, la fatigue ou sa proverbiale maladresse au volant ? Toujours est-il que Roger a un accident en rentrant et suivra l’enquête depuis son lit d’hôpital. Cela vaut au commissaire Ottavioli une promotion express et provisoire au poste de numéro 2. Aux premières loges de l’enquête, il me racontera plus tard combien les gardes à vue l’ont impressionné.
« À cause de la guerre d’Algérie, le délai légal d’interrogatoire a été porté à 15 jours. Inutile de te dire que ça change les choses. Il se crée entre les suspects et les policiers un rapport étrange, il arrive un moment où on se connaît tellement qu’on ne peut plus tricher. » L’enquête va aller très vite, puisque moins d’un mois après l’attentat, la plupart des membres du commando et les conjurés ont été identifiés et arrêtés. C’est grâce à l’interpellation dans la Drôme de Pierre Magade, un déserteur, que la pelote va se dérouler. Magade plastronne devant les gendarmes :
« Le 22 août, j’étais au Petit-Clamart ! »
Il est aussitôt mis dans un fourgon, direction le 36. Petit à petit, la bande tombe. Ottavioli interroge un homme qui se prétend cultivateur. Il regarde son allure, ses mains : il n’a rien d’un paysan. Finalement l’homme avoue : « Vous avez raison, je suis Alain de La Tocnaye, chef opérationnel du commando, et je ne vous dirai rien de plus. »
La Crim’ n’obtiendra effectivement rien d’autre de sa part durant sa garde à vue. Ottavioli m’a plusieurs fois raconté l’ambiance au 36 durant cette affaire, les conditions épouvantables des interrogatoires : le dépôt plein à craquer, des matelas à même le sol dans les couloirs, les bureaux qui ne désemplissent pas, le commissaire Bouvier qui fume pipe sur pipe. Un matin à 6 h, il lance :
« On est crevé, on ne fera rien de bon. Tout le monde va dormir, retour à 9 h. » Certains inspecteurs n’ont pas la force de rentrer chez eux et dorment dans leur bureau. Je connaitrai, comme tous mes collègues, cette ambiance de guerre, bien sûr à un moindre niveau, lors des affaires d’enlèvements ou de terrorisme.
Il manque un homme au tableau de chasse de la Crim’ : « Didier», le cerveau de l’opération « Charlotte Corday », nom de code de l’attentat contre « Jacqueline » (de Gaulle). Un portrait-robot a été dressé, la Crim’ est sur la piste d’un officier supérieur catholique et pro-Algérie française. Les fiches des renseignements généraux et de la sécurité militaire sont épluchés et un nom jaillit : celui du colonel Jean-Marie Bastien-Thiry. Il est filé, arrêté puis conduit dans le bureau du patron, Maurice Bouvier. « Otta » est présent, autant dire que je tiens le récit « de la bouche du cheval ». Bastien-Thiry est convaincu que la police sait déjà tout. Il assume ses responsabilités de chef des conjurés et de bonne foi donne des détails que la Crim’ ignorait.
Le reste appartient à l’Histoire. Jean-Marie Bastien Thiry sera condamné à mort, de Gaulle refusa sa grâce. L’auteur de l’attentat du Petit-Clamart est fusillé le 11 mars 1963.
Je n’imagine pas en 1975, lorsque j’écoute cette formidable histoire de Papa Oscar (Pierre Ottavioli en langage radio), que je vais croiser la trajectoire de l’un des conjurés du Petit-Clamart, Jacques Prévost. C’est l’un des hommes qui m’a le plus marqué, par son parcours et sa personnalité. Au procès du Petit-Clamart, devant le tribunal militaire, il se dresse. La cour vient de condamner à mort Jean-Marie Bastien-Thiry, Alain de La Tocnaye et Gérard Buisines :
« Ne condamnez pas Buisines, il n’y est pour rien, je veux prendre sa place. »
Le procureur accepte et Prévost est condamné à mort. Comme La Tocnaye, il sera gracié par le général de Gaulle. Quel destin que celui de cet homme, ancien para en Indochine, qui a sauté volontairement sur Diên Biên Phu lors du dernier largage, alors que tout était perdu dans la cuvette encerclée par les Bodoïs du général Giap !
En 1975, le nom de Jacques Prévost surgit dans ma première affaire d’enlèvement, celui du PDG de Phonogram, Louis Hazan. Les années kidnapping viennent de commencer. Et je suis aux premières loges.
Extrait de "Commissaire à la crim'" de Claude Cancès, aux Editions Mareuil