Conférence ASAF 46 du 29/06/2018L’après Daech : situation géopolitique au Moyen-OrientOrganisée par le Lnt-col (h) Olivier MILLET Président de l'ASAF46
Reportage photos: Cdt (rc) Claude MILLET "Chemin de Mémoire des Parachutistes"
Par Roland Lombardi - Docteur en Histoire, Roland Lombardi est consultant indépendant en Géopolitique, analyste au sein du groupe JFC Conseil et chercheur associé à l'IREMAM (Institut de Recherches et d'Études sur le Monde arabe et musulman) de l'Université Aix Marseille. Dernière publication : Gaz naturel, la nouvelle donne ? (co-aut., éd. PUF, 2016)
Le conférencier Roland Lombardi est de plus un ancien du 3ème RPIMa
Résumé interventionAu delà du sensationnalisme médiatique, du catastrophisme traditionnel lié à cette région mais également de certains de mes confrères, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, je suis beaucoup plus optimiste pour la situation future du Moyen-Orient, que je ne le suis pour celle de l’Europe…mais ça c’est un autre sujet…
Il y a d’abord 3 facteurs essentiels qu’il faut prendre en compte pour évoquer cet optimisme :
- Le premier c’est le « Printemps des militaires » ou des dictateurs (Egypte et AS)
- Le second c’est bien évidemment l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche et d’une nouvelle administration américaine et son corollaire, une nouvelle politique.
- Enfin, le troisième c’est bien sûr le retour de la Russie en Méditerranée et au MO et son rôle devenu incontournable depuis septembre 2015 et son intervention en Syrie…
I - Le Printemps des militaires
Tout d’abord, il est évident que nous assistons à un retour des militaires partout dans la région, au Maghreb et au Moyen-Orient. Un véritable « Printemps des militaires » et donc un retour au passé et aux dictatures. Certes. Mais ce retour « des hommes forts » n’est peut-être pas aussi négatif qu’on veut nous le faire croire. Car je pense que nous risquons d’assister à l’avènement d’un genre nouveau de dictatures, à savoir des sortes de « dictatures éclairées » ou des « dictatures bienveillantes » mais avec des sociétés plus ou moins ouvertes et un libéralisme économique.
Je m’explique en prenant l’exemple de l’Egypte de Sissi (qui est une sorte de modèle pour tous les autres autocrates en herbe actuels). Oui Sissi est un dictateur féroce. Mais ce dernier, à la tête de son armée, a senti le vent du boulet avec le Printemps arabe. Il n’est pas stupide et il sait pertinemment qu’il n’a plus droit à l’erreur. C’est la raison pour laquelle, il a entrepris d’importantes réformes dans la lutte contre la corruption (dont on parle peu) et surtout dans les domaines socio-économiques. Et par-dessus tout, actuellement dans le monde arabe, il est le fer de lance contre l’islam politique (répression contre les Frères Musulmans et discours historique à Al-Azhar en décembre 2015). A l’inverse de ses prédécesseurs, Sissi, comme Assad d’ailleurs, a compris qu’il fallait cesser les jeux troubles du passé entre les différents pouvoirs et les Frères musulmans ou autres salafistes. Même en Arabie saoudite, pays des lieux saints de l’islam, le jeune prince Mohamed Ben Salmane (dont Sissi est le mentor), tout en instaurant sa future dictature, a engagé une véritable « perestroïka » dans le wahhabisme, pourtant véritable matrice idéologique du salafisme jihadiste…
Au final, si les nouveaux et futurs dictateurs confirment leur résipiscence vis-à-vis de l’islam politique et souhaitent véritablement assécher l’islamisme radical, s’ils ne retombent pas dans le travers des autocrates du passé avec une corruption et un népotisme outrageants, et qu’ils prennent enfin conscience du bien commun afin de réellement œuvrer pour l’amélioration socio-économique de leurs pays, on peut avoir un certain espoir…
Tout le monde rêve d’un aggiornamento de l’islam sunnite. Quoi de mieux que d’espérer que celui-ci vienne du « royaume des deux mosquées sacrées ».
Pour expliquer cette tendance historique et, disons-le, révolutionnaire, on peut évoquer des raisons internes à ces pays. Mais pour ma part, j’y vois d’abord son origine dans les grands bouleversements géopolitiques de la région de ces dernières années et bien sûr, le changement de politique du grand allié et soutien américain et dorénavant la présence et l’importance de la Russie.
II – Donald Trump et la nouvelle politique américaine
Je m’explique : Si le Président Trump doit être cantonné dans son rôle de « chien fou » (qui a par ailleurs l’avantage, du point de vue américain, de déstabiliser tous les acteurs de la zone), mais c’est une très grosse erreur que de le sous-estimer. Il n’est pas fou et encore moins stupide ! Loin de là… on ne devient pas Président de la première puissance américaine, contre vents et marées ou pire contre ouragans et tsunamis, en étant un idiot…
Et surtout, il n’est pas seul. Il s’est entouré des meilleurs spécialistes américains de la région notamment certains généraux du Pentagone trop souvent mis à l’écart jusqu’ici.
Certes, le président américain aime jouer au « bad dog » et il a remanié ses équipes (souvent pour des raisons internes) à plusieurs reprise, durant sa première année de mandat. De plus, il s’est entouré depuis de « neocons » comme pour John Bolton et Mike Pompeo afin de remplacer respectivement les « modérés » de son administration, le Conseiller à la sécurité nationale général McMaster et le Secrétaire d’Etat, Rex Tillerson. Il n’en reste pas moins que Trump ne souhaite véritablement pas un affrontement direct avec Moscou (il avait même annoncé, il y a quelques semaines, qu’il voulait se désengager en Syrie !). Par ailleurs, fort heureusement, les généraux John Kelly, son chef de cabinet, et James Mattis, le Secrétaire à la Défense sont encore là et « veillent au grain »… mais pour combien de temps ?
Sur le plan international donc, Trump donne de nouveaux des gages à ses alliés régionaux réaffirmés, que sont l’Arabie saoudite ainsi qu’Israël et surtout son Premier ministre, Benyamin Netanyahou...
Mais les Américains ne font rien gratuitement. Pour Israël, le deal, c’est que ces derniers règlent une fois pour toute le conflit israélo-palestinien. Trump tient d’ailleurs énormément à son « deal du siècle »…
Quant au choix de miser sur le prince héritier et de protéger à nouveau son royaume, c’est à présent, à la condition expresse et inédite que ce dernier combatte véritablement le radicalisme et le jihadisme. En effet, les généraux de Trump ont été confrontés durant leurs carrières, de manière concrète et douloureuse, aux conséquences désastreuses des politiques initiées par les néocons et beaucoup trop de hauts responsables qui ont sévi jusqu’ici à Washington et qui ont malheureusement souvent fait le jeu de l’islam politique…
III – Le retour de a Russie
De plus, dorénavant, s’ajoute à la pression américaine, qui est bien réelle croyez-moi, sûrement celle des Russes. La Russie étant devenue le nouveau « Juge de Paix » de la région, incontournable et véritable fer de lance occidental de la lutte contre l’islam radical. Le roi saoudien s’est d’ailleurs rendu à Moscou lors d’une visite historique il y a quelques mois…
Moscou parle à tout le monde Israël, Iran, Arabie Saoudite, Turquie… Sa politique de puissance au Moyen-Orient est imperméable aux rivalités internes à la région
Depuis la Syrie et la future victoire d’Assad, la Russie et le Maître du jeu, le nouveau Juge de paix. Certes Poutine a vendu des armes, mais il a démontré qu’il était un puissant allié mais surtout fiable et sérieux… ça compte énormément dans le monde arabe…
Tensions actuelles au Moyen-Orient ?
On parle donc beaucoup des tensions actuelles au Moyen-Orient (Transfert de l’ambassade US à Jérusalem, conflit larvé Chiites/sunnite – Iran/Arabie Saoudite, retrait US de l’accord sur le nucléaire, tensions entre Israël /Iran en Syrie…)
Toutefois, cette « stratégie de la tension » régionale est parfaitement sous contrôle des deux grandes puissances : les Etats-Unis et la Russie.
Du côté américain, elle a pour principal objectif, de faire revenir l’Arabie saoudite dans le jeu, tout en mettant Téhéran sous pression, en vue de négociations futures. De plus, cette instabilité régionale apparente satisfait les grands médias qui vendent beaucoup plus de papiers, nous fait travailler, nous autres observateurs, et surtout contentent les complexes militaro-industriels occidentaux mais surtout, fait également remonter, certes timidement mais quand même, le prix des hydrocarbures. Ce qui est au passage, très positif pour Riyad aussi pour Moscou…
Comme je ne cesse de le répéter, dans les affaires internationales, il y a toujours la scène et surtout les coulisses. Particulièrement au Moyen-Orient. Il faut se garder des simplifications trop rapides. Le sensationnalisme, les déclarations fracassantes et belliqueuses de part et d’autre, la fameuse rivalité entre chiites et sunnites, les tensions entre d’un côté Israël, l’Arabie saoudite, les Etats-Unis et de l’autre l’Iran… ne sont pour moi que la scène. Pour amuser la galerie. Certes, tous ces protagonistes jouent un rôle, leur rôle. En vérité, chacun possède son propre agenda et joue ses propres partitions.
Pour autant, malgré les apparences parfois trompeuses, tous ces acteurs, quoi qu’on en pense, sont des gens très rationnels, pragmatiques et prudents. Ils n’ont surtout aucun intérêt, pas plus les uns que les autres, à un embrasement généralisé de la région. De plus, bien naïf serait celui qui pense qu’Américains, Saoudiens, Iraniens et même Israéliens ne discutent jamais entre eux dans l’arrière cuisine.
Encore une fois c’est dans les coulisses que tout se joue et se décide sérieusement.
N’oublions pas que la mise en scène et le bluff sont aussi des armes redoutables…
Conclusion
En définitive donc, généraux américains et russes discutent toujours en coulisses et sont moins en désaccord qu'on ne le pense notamment sur l'avenir de la Syrie. Quant à l’Iran, les responsables iraniens, en situation de trop grande faiblesse (mais qui sont de grands pragmatiques) et surtout sous la pression russe, leur dernier soutien, se résignent finalement à revenir à la table des négociations afin de sauver ce qui peut encore être sauvé… Du côté israélien, la pression américaine fera faire des concessions à Netanyahu pour qu’il signe enfin un accord de paix avec les Palestiniens…
De fait, comme je l’annonce depuis longtemps, un « Yalta régional » entre les deux grandes puissances, verra assurément le jour (le futur sommet Trump/ Poutine annoncé en juillet en sera peut-être les prémices…).
Alors voilà, retenons juste de l’histoire que rien n’est jamais écrit. Bien sûr, tout peut basculer. Sissi peut connaître le destin de Sadate (assassiné en 1981). MBS celui de Fayçal (tué par un neveu en 1975). Même pour de grands artificiers, il est toujours dangereux de jouer sur des barils de poudre…
Enfin, Daesh a perdu territorialement parlant mais le terrorisme frappera encore malheureusement. Surtout l’Europe, le ventre mou de l’Occident. Et puis, al-Qaïda ou d’autres groupes et surtout leur idéologie sont toujours là. Toutefois, on peut raisonnablement dire qu’il y a pour l’instant une véritable conjonction de facteurs politiques et géopolitiques très positifs pour la région.
En attendant, n’oublions pas qu’il faut toujours rester prudent et surtout, garder la tête froide lorsque nous observons cette partie du monde. Car ici, rien n’est jamais ni tout noir ni tout blanc…
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