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Opération Barkhane : sur le front avec les soldats français au Sahel
Voilà plus de sept ans que l'armée française est engagée au Sahel dans le cadre de l'opération Barkhane. Alors que 51 soldats y sont « morts pour la France », le décès du président tchadien Idriss Déby en avril puis l'enlèvement d'un journaliste français, confirmé en mai, reposent la question de la pertinence de cette présence massive. Nous avons accompagné le groupement Chimère dans la dangereuse zone des trois frontières, entre Mali, Niger et Burkina Faso.
Sur le front de l'opération Barkhane, reportage réalisé dans la zone des trois frontières, au nord du Burkina Faso du 5 au 14 avril 2021. Ici, un hélicoptère Chinook britannique ravitaille le détachement français sur le terrain. (Fred Marie)
Publié le 18 mai 2021 à 14:03Mis à jour le 18 mai 2021 à 15:39
Il est 5 heures du matin, quelque part au nord du Burkina Faso. Les 250 soldats français du groupement tactique désert Chimère sont déjà bien réveillés, gilet pare-balles sur le dos, fusil à portée de main. Les lits de camp sur lesquels ils viennent de passer une courte nuit à la belle étoile sont rangés dans les véhicules blindés. Le convoi va pouvoir reprendre la route dans l'immense désert du Sahel.
Vidéo : Avec les soldats de l'opération Chimère
Voilà quelques semaines que les jeunes marsouins parachutistes de Chimère ont quitté la quiétude de leur caserne de Castres pour l'extrême chaleur du Sahel. C'est le 15 mars que, pour les hommes du 8
e Régiment parachutiste d'infanterie de marine, l'alerte Guépard a été déclenchée. En moins de 48 heures, une compagnie (environ 150 hommes) doit être en mesure de partir à l'autre bout du monde pour plusieurs mois de mission.
« Cette projection s'inscrit dans le programme de relève et d'adaptation permanente du dispositif de la force Barkhane », peut-on alors lire dans un communiqué de presse diffusé par le régiment, rompu à l'exercice du Guépard, en 2015 à la suite des attentats commis à Paris, mais aussi en 2013 lors d'un déploiement en République centrafricaine.
Un militaire du 8e RPIMa (Régiment de parachutistes d'infanterie de marine) profite d'une pause pendant le convoi pour faire du sport.Fred Marie
Barkhane est une opération militaire française, lancée le 1
er août 2014 dans la bande sahélo-saharienne, contre les groupes armés terroristes, notamment de Daech et AQMI. Cette « Opex » (opération extérieure) fait suite à l'opération Serval lancée un an plus tôt au Mali par François Hollande, pour empêcher des djihadistes de s'emparer du pays. Composée d'environ 5.100 militaires français déployés sur un territoire grand comme l'Europe, cette force armée organise, avec les pays alliés du G5 Sahel (Mali, Niger, Tchad, Mauritanie et Burkina Faso), une à deux opérations d'envergure par an, dans le but à chaque fois de frapper un grand coup et neutraliser le plus d'ennemis possible.
Un jeune soldat tente de dormir à l'arrière du VAB (véhicule de l'avant blindé qui sert au transport de troupes). À l'intérieur, les températures dépassent largement les 50° C.Fred Marie
Cette année, plus de 1.200 soldats tchadiens ont fait la route depuis N'Djamena pour renforcer le dispositif. Le groupement Chimère se joint à cette opération majeure sur le terrain.
« Notre mission est d'accompagner le bataillon tchadien au combat, contre les groupes armés terroristes (GAT), dans la zone des trois frontières [Aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso, NDLR].
Cette opération a pour but de détruire les réseaux de GAT qui sévissent dans cette zone », explique le colonel Prod'homme, chef de Corps du régiment de Castres et commandant du groupement Chimère. Depuis 2013 et le début de cette guerre française au Sahel , l'objectif est toujours le même : la stabilité du territoire pour permettre son développement.
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Un ennemi dangereux et insaisissable
Mais la mission est complexe. Depuis le choc de l'opération Serval, qui a stoppé une colonne armée de djihadistes roulant sur Bamako, la capitale du Mali, les militaires français tentent de débusquer des terroristes cachés dans la population. Dans cette région, ces derniers s'appuient sur l'extrême pauvreté pour étendre leur influence. L'absence d'activité économique et le manque d'éducation forment un terreau favorable au terrorisme, surtout dans un pays où le sentiment antifrançais semble gagner du terrain, à en constater la multiplication des manifestations à Bamako ces dernières années.
Les militaires surveillent les environs 24 h/24 à l'aide de jumelles de vision nocturne.Fred Marie
D'ailleurs, Barkhane ne dispose pas que d'un volet militaire. Parmi les milliers d'hommes et de femmes déployés sur le terrain, une partie d'entre eux mènent des actions civilo-militaires, essentiellement au Mali, avec pour objectif de soutenir le développement et la reconstruction du pays, via des forages de puits, des financements d'écoles, d'activités économiques et artisanales locales. Elle se défend de faire de la concurrence aux ONG et aux humanitaires, mais l'armée française a compris que cette guerre ne peut se gagner sans le soutien de la population.
Pendant que certains cuisinent, d'autres se douchent avec une bouteille d'eau.Fred Marie
D'autant que les enjeux de cette « Opex », la plus longue et la plus coûteuse en matériel depuis la Seconde Guerre mondiale, dépassent le territoire du Sahel.
« Ici, on assure la défense de l'avant, affirme le colonel Prod'homme,
alors que les militaires engagés dans l'opération Sentinelle participent à la défense du territoire national face à un ennemi qui, mû par son idéologie radicale, ne renoncera pas à la violence pour nous imposer sa volonté. Dans les deux cas, qu'il s'agisse de maintenir à distance de sécurité ou bien de défendre le sol national, nous oeuvrons avec coeur et dévouement au service de la sécurité de nos concitoyens. » Faire la guerre en Afrique pour protéger la France et même l'Europe, l'idée est également partagée par des parlementaires français ayant consigné dans un rapport rendu public début avril que
« le risque de voir l'Europe frappée depuis le Sahel est manifeste », avant de qualifier Barkhane de
« socle robuste contre le terrorisme ».
Barkhane : les militaires ont le sentiment de marquer des points
Engins explosifs improvisés
Apporter de la stabilité dans cet immense territoire semble illusoire quand on sait que les groupes armés sont toujours très actifs, malgré sept ans de présence militaire française et onusienne (constituée de plus de 13.000 casques bleus de la Minsuma, pour un coût annuel de 1,189 milliard de dollars). Le 15 mars dernier, une embuscade menée par une centaine de djihadistes a décimé un avant-poste de l'armée malienne, tuant 31 soldats dans la zone des trois frontières. Début mai, on a eu la confirmation que le journaliste français Olivier Dubois , collaborateur de différents médias, a été enlevé le 8 avril à Gao, dans le nord du Mali, par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, branche locale d'Al-Qaïda.
Dans le désert, les nuits sont fraîches et l'amplitude de température est extrême : on passe de plus de 50°C à moins de 20°C en quelques heures.Fred Marie
Dans cette très dangereuse partie du Sahel, sur la frontière entre Burkina Faso et Mali, les militaires de Chimère traquent l'ennemi, sous un soleil de plomb et dans des conditions de rusticité extrême, à pied et au volant de véhicules blindés. Si le risque d'embuscade est faible face à la puissance de feu française, celui de marcher ou de rouler sur un engin explosif est malheureusement très élevé. Ces « IED », pour « Improvised Explosive Device » (engin explosif improvisé) sont employés par les djihadistes depuis le début du conflit et tuent indifféremment soldats français et population locale. En huit années, 57 soldats français ont péri au Sahel, dont 51 considérés comme « morts pour la France ».
« On parle de géostratégie, mais quand on descend au niveau du terrain, c'est le marsouin qui tient son fusil et qui est prêt à mourir pour son camarade d'à côté, pour le régiment et pour la France », rappelle le commandant du groupement Chimère.
Le chef de corps du 8e RPIMa et commandant du groupement désert se rase.Fred Marie
Ces militaires doivent manoeuvrer dans les conditions extrêmes imposées par le terrain et le climat. Au coeur de la saison sèche, les températures dépassent largement les 50 °C dans ce désert où la végétation se résume à quelques arbustes épineux.
« La météo met à rude épreuve les organismes et les matériels », souligne le capitaine Pierre, l'un des commandants d'unité de Chimère,
« mais nous avons eu la chance avec mes hommes de bien travailler la rusticité, notamment lors d'une précédente opération en Guyane contre l'orpaillage illégal. Dans ce type de mission, on apprend à prendre soin de soi, car si on ne veille pas à s'entretenir, on n'est plus opérationnel », ajoute l'officier.
« Un véritable ultratrail »
Ainsi, malgré le peu de confort et de quiétude dont disposent les soldats sur le terrain, tous prennent le temps, chaque soir, de se nettoyer avec une bouteille d'eau, de laver quelques vêtements et de soigner leurs ampoules aux pieds. En relative sécurité dans leur « base opérationnelle avancée temporaire », une zone de bivouac aménagée au milieu d'un carré de blindés, ils peuvent déguster leur ration de combat et préparer leur mission du lendemain. Certains d'entre eux, équipés de jumelles de vision nocturne sont postés sur les véhicules, armes au poing, scrutant l'horizon au cas où des visiteurs non désirés décideraient de perturber ce moment de pause.
Un ennemi a été fait prisonnier par les Français, il est pris en charge par les soldats maliens.Fred Marie
« C'est un véritable ultratrail, souffle le colonel Prod'homme.
Jusqu'à présent, toutes les opérations extérieures que j'ai connues, notamment en Afghanistan, étaient assez restreintes dans le temps. Sur un mandat de quatre mois, on réalisait des missions de quelques jours avant de revenir sur une base arrière pour se reconditionner, planifier la prochaine et repartir. Là, on est lâchés 'dans la verte' pendant plusieurs semaines, voire peut-être plusieurs mois. Cela a des conséquences opérationnelles humaines qu'il faut gérer dans la durée, car le capital humain et matériel s'érode forcément et c'est à nous de trouver le juste équilibre entre maintenir la pression sur les groupes armés terroristes par une succession d'opérations qui ne s'arrêtent jamais et de temps en temps marquer une petite pause pour éviter que les hommes et les matériels ne souffrent trop et ne soient au final inopérationnels. »L'heure n'est cependant pas au repos pour les parachutistes de Chimère : leur pause sur la zone de bivouac sera de courte durée. Sac sur le dos et jumelles de vision nocturne accrochées au casque, il est 22 h 30, l'heure de partir en mission de nuit et de profiter d'une obscurité quasi totale pour espérer débusquer l'ennemi.
Fred Marie
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