8 juin 1794 : la fête de l’Être suprême, grand-messe de la Révolution
- Eric de Mascureau
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La Fête de l'Etre suprême :copyright: Musée Carnavalet CC
L’Homme révolutionnaire veut supprimer Dieu ou la religion, notamment chrétienne, de la sphère publique, mais comment ? Il a d’abord cherché
à le remplacer. Ce rêve, ce fut celui d’un être dont les mains étaient couvertes du sang des victimes de la Terreur : Maximilien de Robespierre.
Robespierre a ainsi cherché, au terme de son œuvre révolutionnaire, à rendre hommage au culte de la raison à travers celui de l’Être suprême,
dont la première et dernière célébration eut lieu il y a 230 ans, le 8 juin 1794.
Qu’est-ce que l’Être suprême ?Le concept philosophique, presque religieux, de Robespierre puise son inspiration dans certains concepts de la franc-maçonnerie, extrêmement
active durant le siècle des Lumières, et surtout durant la Révolution. Il fallait se séparer des dogmes de l’Église. Il fallait que les loges racontent
leur propre vision de la création du monde qui serait issu d’un être surnommé le Grand Architecte de l’Univers. Robespierre et ses comparses
récupéreront l’idée afin de créer un nouveau culte pour unifier les Français autour de l’État, maître et ordonnateur de cette nouvelle religion.
Ce culte aura pour but de mettre en avant des vertus humanistes inspirées par Dieu ainsi que des fêtes organisées par la Révolution pour
supplanter la morale et les traditions chrétiennes, comme le calendrier révolutionnaire avait pu déjà le faire.
Le culte de la Raison et de la RévolutionLe 8 juin 1794, en ce dimanche de la Pentecôte, Robespierre décide ainsi l’organisation d’une grande célébration afin que tous les Français
rendent hommage à l'Être suprême. Pour cela, il fait construire une colline factice surplombée d’un Arbre de la Liberté humblement
surnommé la Montagne. Le peuple est invité autour de ce saint relief à se joindre à Robespierre pour communier avec lui autour de
chants républicains, d’acclamations et de défilés glorifiant les vertus de la Raison. Au terme de cette longue journée, l’Incorruptible,
quasi-pape autoproclamé de sa propre religion, finit par prononcer un discours qu'il imagina sans doute éternel :
« Français républicains ! Il est enfin arrivé, ce jour à jamais fortuné que le peuple français consacre à l'Être suprême ! Jamais le monde qu'il a créé ne lui offrit un spectacle aussi digne de ses regards. Il voit dans ce moment une nation entière, aux prises avec tous les oppresseurs du genre humain, suspendre le cours de ses travaux héroïques pour élever sa pensée et ses vœux vers le grand Être qui lui donne mission de reprendre et la force de les exécuter. »S’ensuivent nombre de pratiques symboliques dont une partie est destinée à rassurer les plus méfiants sur les volontés de la Révolution
- pourtant en pleine Terreur. Ainsi, Robespierre met au feu des représentations de l’Athéisme, de l'Égoïsme, de la Discorde, de l’Ambition
avant de dévoiler aux 400.000 personnes rassemblées une allégorie de la Sagesse. Puis se succèdent des ovations, des
Marseillaiseréinventées, des hymnes à l’Être suprême chantés par des chorales de femmes, d’enfants et de vieillards afin de clôturer définitivement
cette longue célébration qui s’avère pourtant être un cuisant échec, voire une condamnation à mort pour Robespierre.
L’erreur de RobespierreCar malgré ces efforts pour réunir les Français, Robespierre échoue dans son projet. Si certains adhèrent à sa pieuse vision,
d’autres anticléricaux s’y opposent. Les plus fervents partisans de l’athéisme voient même dans ce culte une menace envers
leurs idées et leur propre personne. Qui dit que le Comité de salut public, peut-être future Inquisition de ce pape révolutionnaire,
ne les enverra pas à la guillotine au nom des vertus de son Être suprême ? Cette situation ne fait ainsi que renforcer la
détermination et la haine des ennemis de l’Incorruptible qui, presque deux mois plus tard, le 28 juillet 1794 sera renversé
et amené à la guillotine par ses opposants. Le culte de l’Être suprême ne survivra pas à la mort du premier membre du
clergé de la Raison et ne manquera pas, non plus, à la France dont les traditions chrétiennes étaient visiblement plus fortes
que ne le pensaient la Révolution et ses maîtres.