Comment l'armée française soigne ses très chers générauxPar Jacques Bessy | Vice-président de l'Adefdromil | 04/07/2009 | 11H50
Les généraux, une caste méconnue dont les avantages n'ont rien à envier aux meilleurs « golden parachutes » des PDG. Poursuivant un travail entamé il y a plusieurs années, l'Adefdromil, qui défend les droits des militaires, s'est longuement penchée sur le sort des généraux de l'armée française. Coup de gueule.L'approche de la fête du 14-Juillet nous rappelle que la France dispose d'une armée professionnelle de plus en plus petite, mais proportionnellement de plus en plus encadrée par des officiers généraux. Une situation en contradiction avec le discours officiel sur la réforme des armées entreprise dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
En sept ans, l'armée va réduire ses effectifs de 54 000 militaires.
Mais cette période de disette financière n'empêche pas nos très chers généraux de rester d'éminents privilégiés de la République.
Moins de soldats mais toujours autant de générauxCombien sont-ils ? Jean Guisnel, spécialiste des problèmes de défense et auteur de l'enquête « Les Généraux » (1990), publie le 5 juin 2008 dans Le Point une estimation de leur nombre :
<blockquote>« Le nombre des officiers généraux en activité (ce que les militaires appellent la “première section”) était fin 2007 de 633 :
- armée de terre : 202
- délégation générale pour l'armement : 120
- armée de l'air : 81
- contrôle général des armées : 80
- marine nationale : 65
- service de santé : 58
- gendarmerie nationale : 54
- service des essences : 3…
En moyenne, les généraux en première section ont une vie administrative courte : quatre ans à peine. En règle générale, ils sont tenus de quitter leur poste à 57 ans, sauf si un contrat lié à une promotion leur permet d'atteindre les 61 ans du général à cinq étoiles. »
</blockquote>
Ce nombre est stable depuis plus de trente ans, puisqu'on en comptait, selon une réponse officielle publiée en 2002, 612 en 1975 et 629 en 1985. Il s'agit là de « postes budgétaires » : cela signifie qu'il est possible de nommer deux officiers pour six mois chacun, leur permettant ainsi de partir à la retraite à un échelon supérieur.
L'Adefdromil s'est livrée à un modeste relevé de décisions dans les journaux officiels de juin et juillet 2008. Elle a compté pas moins de 210 noms d'officiers généraux en à peine plus d'un mois, dont seulement deux personnels féminins et deux « quarts de place », appelés ainsi car nommés le jour de leur départ du service actif, ce qui leur permet de bénéficier de la carte de réduction SNCF à 75%.
Le RSA (revenu de solidarité active) des générauxCombien gagnent-ils ? Selon un article reprenant les données du ministère de la Défense et publié en mai 2008 sur le blog de Jean-Dominique Merchet, journaliste à Libération, la solde moyenne d'un officier général serait de 5 850 euros, moyenne d'une fourchette comprise entre 5 200 et 6 600 euro.
Ces chiffres ne correspondent en fait qu'à un peu plus de 50% de la réalité, puisqu'ils n'expriment que la solde de base brute mensuelle d'un général de division. En fait, de 46 à 60% de la rémunération nette est constituée par des primes, comme dans le reste de la haute fonction publique -hors nouvelle bonification indiciaire et prime de résultat.
Un âge limite de départ du service actif rarement respectéEn 2005, l'âge limite de départ du service actif a été fixé à 61 ans pour les généraux des forces (hors personnels navigants) et jusqu'à 65 ans dans les services. Il correspond à ce qui existe dans d'autres corps civils de l'Etat. Il n'y a donc aucune contrainte statutaire qui justifie les dérives actuelles.
Dans les faits, la plupart des généraux sont incités à quitter le service actif avant ses limites d'âge par des mesures de gestion convaincantes.
Ainsi, nos très chers généraux peuvent bénéficier d'une disponibilité spéciale pendant laquelle ils perçoivent au minimum six mois de solde de base, c'est à dire qu'il percevront un salaire plein pendant six mois tout en ayant cessé leur activité, avant de commencer à percevoir leur pension.
Ceux qui ont piloté peuvent bénéficier d'un congé du personnel navigant qui peut durer trois ans au maximum. Ils ont droit également à de juteuses indemnités de reconversion.
Jamais à la retraite, mais tranquillesLa « deuxième section » des officiers généraux a été créée en 1839 sous Louis-Philippe, en théorie pour permettre de rappeler facilement à l'activité les généraux compétents en temps de guerre. Cent soixante-dix ans plus tard, la France mène surtout des opérations extérieures sous mandat international et avec des effectifs réduits. Mais le mode de gestion a été conservé : on ne change pas une équipe qui gagne !
Dans un rapport de présentation d'un projet de loi modifiant l'ancien statut général des militaires en 2004 (n°1741), Guy Tessier, président actuel de la Commission de la défense précisait :
<blockquote>« Bien que sans emploi, les officiers généraux de la
deuxième section sont considérés comme étant en activité sans limite
d'âge et sans limitation de nombre.
Ils restent pour la plupart, de manière très théorique, à la
disposition du ministre de la Défense qui peut les employer en fonction
des nécessités de l'encadrement, notamment en temps de guerre. Ils sont
soumis au devoir de réserve et aux règles statutaires relatives à la
liberté d'expression… »
</blockquote>
Et le rapporteur de dénombrer 5 500 généraux en deuxième section pour 95 rappels annuels à l'activité !
Pas de problèmes d'emploi des seniors pour les générauxCompte tenu des nombreuses nominations de généraux et de leurs départs tout aussi rapides du service actif, on a créé spécialement pour eux, en 2005, une Mission de reconversion à la vie civile des officiers généraux (Mirvog), financée par le ministère.
Deux tiers des officiers généraux retrouveraient ainsi un emploi après avoir quitté le service actif (site du ministère).
- C'est ainsi que des généraux peuvent occuper des emplois à la société nationale immobilière
qui gère le parc des logements militaires dans les principales
garnisons de France. Certains se reconvertissent par cooptation dans
les mutuelles militaires d'assurance comme à l'AGPM ou au GMPA. D'autres encore trouvent à s'employer dans les sociétés de sécurité et d'intelligence économique
comme chez Géos qui compte ou a compté comme brillants prestataires de
service les généraux de Saqui de Sannes et Poncet, sans parler des sociétés du complexe militaro-industriel comme les groupes Thalès, EADS ou Dassault qui salarient en permanence plusieurs généraux.
- Pour les plus étoilés, il n'est pas
besoin d'aller chercher bien loin sa reconversion. A plusieurs
reprises, les anciens chefs d'état-major de l'armée de terre ont ainsi
été embauchés comme conseillers d'Etat en service extraordinaire. C'est le cas actuellement du général Thorette.
- Quelques fois, cela se passe moins
bien. L'actualité récente nous a révélé qu'un contre-amiral travaillant
pour EDF et présumé innocent, est devenu témoin assisté dans l'affaire du piratage de l'ordinateur d'un responsable de Greenpeace…
- Mais, indiscutablement, le poste qui, dans le genre, permet de manger au meilleur râtelier est celui de conseiller militaire à Bercy,
poste ouvert sur la base du décret-loi de 1938 relatif aux réquisitions
des pailles, grains et fourrages… bref de quoi s'imaginer qu'il s'agit
d'un fromage.
Charité bien ordonnée commence le 1er janvierLes mesures indiciaires de rattrapage par rapport à la fonction publique civile préconisées par le haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) ont été annoncées et planifiées sur trois ans pour mise en œuvre de 2009 à 2011.
Les nouveaux statuts particuliers, qui fixent les conditions d'accès aux différents échelons de chaque grade étant entrés en vigueur au 1er janvier 2009, la première tranche du rattrapage indiciaire leur a été associée. Les officiers généraux se sont servis en premier et en totalité dès le 1er janvier 2009, démontrant une fois de plus leur esprit de sacrifice et d'anticipation de la crise financière…
Vous l'aurez compris, chers lecteurs de Rue89, le maintien des avantages catégoriels dont bénéficient nos très chers généraux, se fonde moins sur le sens du service du pays que sur celui de leurs intérêts matériels au sens le plus étroit.
C'est pourquoi l'Adefdromil propose :
- la suppression pure et simple de la deuxième section,
archaïsme aussi inutile que coûteux, y compris en termes d'effectifs ausein du fameux BOG (bureau des officiers généraux) rattaché directementau ministre.
- de réduire notablement le nombre de places de recrutement direct dans les écoles militaires d'officiers, maintenu au même niveau depuis quarante ans, tout comme d'ailleurs le nombre d'officiers généraux. Est-ce une coïncidence ?
Le chef des armées, par ailleurs patron de l'Elysée, a t-il lesmoyens de le faire ? Sans doute ! En aura-t-il la volonté ? Nous laissons à nos lecteurs la responsabilité de le conjecturer.
source: RUE89