Point de vue
Soldats français tombés en Afghanistan : Rendez-nous nos héros !
par Samuel DuvalLEMONDE.FR | 11.03.10 | 21h45
Nicolas Sarkozy décore de la Légion d'honneur à titre posthume un des dix soldats français tombés au combat en Afghansitan.
Le 18 août 2008, 14 heures, vallée d'Uzbin, Afghanistan. Le caporal-chef brancardier-secouriste de la section Carmin 2 prise en embuscade s'écroule, mortellement touché. Il est allé chercher, par trois fois, sous le feu, le genou fracassé par une balle, des camarades blessés. Un peu plus tôt, l'opérateur-radio de cette section, un tout jeune soldat, est tué lui aussi en protégeant de son corps son chef de section afin que celui-ci puisse exercer son commandement.
Le récit de ces actes héroïques est presque absent de la scène médiatique française dans les jours qui suivent l'embuscade d'Uzbin. A l'heure où ces mots sont écrits, quarante soldats sont morts pour la France en Afghanistan. Les titres des journaux qui rendent compte de ces événements sont les mêmes que s'il s'agissait de faits-divers ou d'accidents du travail :
"Attaque en Afghanistan : un deuxième soldat décédé", (
Le Parisien 11/1/2010) ;
"Un militaire français tué en Afghanistan", (
Le Figaro14/3/2009) ;
"Dix soldats français ont été tués en Afghanistan" (
Le Monde 19/8/2008). Le soldat tué au combat est dépeint comme une victime passive qui subit un sort contraire, un peu comme lors d'une catastrophe aérienne. Et le pouvoir politique a renforcé cette idée en 2008 lorsque le ministre de la défense a accompagné en Afghanistan les familles des soldats tués lors de l'embuscade d'Uzbin.
Il n'est donc pas surprenant que certaines de ces mêmes familles portent plainte quelques mois plus tard pour mise en danger de la vie d'autrui.
Dans le cadre d'un processus de victimisation, il est naturel de chercher les coupables qui ont créé les victimes. Pourtant, il semble beaucoup plus juste et profitable pour la société française de remettre à l'honneur la figure du héros militaire qui a disparu au profit de celle de la victime.
Ces événements récents s'inscrivent dans une évolution plus large et plus ancienne qui tend à substituer la figure de la victime à celle du héros. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le héros militaire, qui n'existe plus depuis la Résistance. Pourtant, l'étymologie du mot "héros" nous apprend que ce terme est un emprunt du grec
hérôs, c'est-à-dire un chef militaire de la guerre de Troie comme Ulysse ou Agamemnon. Cette conception antique a perduré pendant tout le Moyen Age à travers des personnages légendaires comme Roland ou Lancelot du Lac. Le siècle des Lumières a commencé à remettre en cause cette vision :
"Vous savez que, chez moi, les grands hommes vont les premiers, et les héros les derniers ; j'appelle grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l'utile ou l'agréable ; les saccageurs de provinces ne sont que des héros."Par la suite, la Grande Guerre a continué à mettre à mal le concept de héros. En raison du nombre abominable de tués, le soldat a commencé à devenir une victime. La Shoah constitue en outre l'étape déterminante vers la valorisation de la victime, et ce mouvement aboutira à la naissance de la victimologie en tant que discipline indépendante au début des années 1960. De nos jours, on assiste en France à la création de communautés qui se soudent autour de leurs souffrances passées ou présentes comme les "indigènes de la République". Cette démarche aboutit au constat que
"les victimes incarnent une nouvelle forme d'héroïsme". Un exemple frappant de l'héroïsation de la victime est constitué par la personne d'Ingrid Bétancourt. En effet, le président de la République lui a remis les insignes de chevalier de la Légion d'honneur le 14 juillet 2008 peu de temps après sa libération par les FARC de Colombie. Pourtant, il est difficile de discerner en quoi Mme Bétancourt a fait preuve
"de mérites éminents acquis au service de la nation soit à titre civil soit à titre militaire". On peut donc penser que cette haute distinction lui a été conférée en tant que victime d'une très longue et éprouvante séquestration.
Cependant, la victimisation à outrance et l'exploitation politique et médiatique qui peut en être faite ne servent pas les personnes qui ont subi des préjudices, mais au contraire les enferment dans une sorte de statut social. Au niveau de la société, l'irruption de la victime sur le devant de la scène politique est également dangereuse car celle-ci ne parle qu'un seul langage : celui de l'émotion au détriment de celui de la raison, servant l'atteinte des objectifs fixés. Pour revenir aux soldats français tués en Afghanistan, ceux-ci n'étaient pas des victimes consentantes mais des hommes qui ont choisi librement d'aller au bout de leur engagement pour les valeurs de la nation. Bien plus, la plupart d'entre eux n'ont pas subi la mort mais se sont battus avec un héroïsme remarquable. La famille du brancardier-secouriste d'Uzbin fait partie de celles qui ont déposé plainte.
Au-delà de cette démarche, il est certain que le processus de deuil de cette famille aurait été grandement facilité en mettant à l'honneur l'héroïsme de leur proche plutôt qu'en le présentant comme une victime.
Nos alliés anglo-saxons ne partagent d'ailleurs pas cette vision
"victimisante" de la mort au combat. Le village de Wootton Bassett, en Angleterre, est sur le chemin des convois funéraires qui transportent les corps des soldats britanniques tués en Afghanistan. A chaque passage, une foule pouvant rassembler parfois cinq mille personnes escorte les dépouilles des militaires jusqu'à la sortie du village. De même, au Canada, la route où passent les soldats tués en Afghanistan et leurs familles a été rebaptisée "Highway of Heroes" et des centaines de Canadiens se massent sur ses bords en signe d'hommage.
A l'heure où l'Etat français sent le besoin d'interroger ses citoyens sur l'identité nationale, il faudrait élargir le débat en s'interrogeant sur les modes de fonctionnement de notre société afin de remettre à l'honneur le héros et abandonner un discours trop victimisant. En s'appuyant sur ces authentiques héros militaires, le pouvoir politique offrirait en outre des modèles pour une jeunesse en quête de sens, pas seulement à cause de leur mort ni en tant que guerrier mais grâce au caractère absolu de leur engagement au service des valeurs de la France.
Samuel Duval est chef d'escadron et officier stagiaire au Collège interarmées de défense (CID)