La mission François d'Orcival le lundi, 28/02/2011
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Mission
sacrée. Il est le chef, c’est son devoir. Le général Irastorza, chef
d’état-major de l’armée de terre, avait à nouveau rendez-vous cette
semaine, en pleine nuit, dans un triste pavillon de l’aéroport de
Roissy, avec la famille d’un chasseur alpin de 19 ans qui venait de
tomber, à six mille kilomètres de là, sur une piste afghane.
Le général représentait la famille militaire au moment d’accueillir,
dans le recueillement et la douleur, la dépouille du soldat dans son
cercueil drapé de tricolore. Le général Irastorza irait ensuite à
Bourg-Saint-Maurice, quartier du 7eBCA, pour rendre hommage à son jeune
camarade.
Elrick Irastorza est quasiment né militaire. Parvenu à 58 ans au
sommet de la hiérarchie, il aura passé cinquante ans de sa vie dans les
armées : à 11 ans, il était enfant de troupe (à Autun), avant d’être, à
20 ans, officier de Saint-Cyr et d’y choisir l’infanterie. Infanterie
de marine et parachutiste. Il aura porté nos couleurs en Afrique, en
Asie, dans le Pacifique. Il a eu les plus beaux commandements. Tout
cela pour dire que sa parole porte le poids du métier et celui de
l’intimité avec les siens.
Or voici ce qu’il dit, en pensant à nos soldats tués et blessés en Afghanistan et ailleurs :
«
Les pertes, le chef militaire ne les a jamais acceptées… Mais parce
que la mission est sacrée, il doit en accepter le risque après avoir
acquis en conscience la certitude de l’avoir réduit au minimum. » Le
jour où la mission n’est plus sacrée, le reste s’effondre. Qu’est-ce
qui peut justifier le sacrifice de sa vie si la mission n’est plus
qu’une tâche parmi d’autres ? C’est ce que rappelle le général, avec
tant d’humanité et de chaleur dans le regard :
« La mort du soldat
au combat n’est pas une mort ordinaire. Tuer au combat pour remplir sa
mission n’est pas un acte ordinaire. »Tuer, être tué, le soldat ne l’accepte qu’au nom d’un ordre
qui le dépasse. Le général cite ce propos de l’aumônier général aux
armées, Mgr Luc Ravel :
« L’armée se différencie des autres forces
politiques sécuritaires en ce qu’elle se trouve présente entre les
nations ; elle existe pour les différends entre les peuples et c’est
pourquoi elle vacille quand le sentiment national se fait hésitant. » Ce
que le colonel Michel Goya, grand spécialiste de l’emploi des forces
et directeur d’études à l’École militaire, précise par cette formule :
« Il reste à déterminer si une société et son armée peuvent espérer vaincre en refusant de reconnaître leurs héros. » Le
général Irastorza a observé, au cours des cérémonies d’hommage aux
soldats tués, maintenant que toutes les unités de l’armée de terre ont
été touchées, combien l’assistance pouvait être différente d’un endroit à
l’autre, combien le patriotisme était ardent ici, absent là.
Quelles sont les guerres qui nous attendent ? Le front est partout,
on le voit bien : où nos forces sont-elles déployées dès à présent ? En
Afrique, au Sahel, à la corne de l’Afrique, au Proche-Orient, en
Afghanistan, dans le Pacifique…
« Celui d’en face, dit Elrick Irastorza,
sera
toujours là pour taper où ça fait mal, pour marquer des points
militaires, pour atteindre nos opinions par médias interposés,
fragiliser nos démocraties. » On continuera de faire la guerre, en épisodes plus ou moins brefs et répétitifs, pour
« produire des effets militaires à des fins politiques ». Alors que tout le monde arabe craque, qui peut croire au retour prochain de la stabilité ?
Le général Irastorza a bien dit que le chef militaire acceptait le risque suprême de son métier
« après avoir acquis la certitude de l’avoir réduit au minimum » ; c’est là que le chef politique, l’élu, porteur de la légitimité
nationale, entre en jeu : non seulement pour expliquer le sens de la
mission, pour en convaincre l’opinion, mais aussi pour en fournir les
moyens nécessaires. Quand le président de la République dit, sur la base
aérienne de Saint-Dizier, en présentant ses voeux aux armées :
«
Pour l’avenir, j’entends bien que la priorité accordée à la Défense
demeure, quelles que soient nos difficultés et la rigueur de nos choix »,
il est entendu et sa parole porte. La nomination d’un ministre d’État,
Alain Juppé, Rue Saint-Dominique, a aussi été interprétée comme un
signe fort.
Car il y a une chose que les militaires ne supportent pas, c’est
d’avoir à se défendre comme s’ils devaient être des syndicalistes. S’il
y a eu une bagarre pour deux compagnies de CRS, les armées ont réduit
leurs effectifs en six ans de l’équivalent de 460 escadrons !
« Il nous reste 20 bataillons d’infanterie, 3 de moins que les Suisses »,
disait l’autre jour le général Irastorza devant les députés du Cercle
Stratégia. Il faut toujours redouter que n’arrive le moment où les
moyens ne sont plus dignes de la mission. François d'Orcival, de
l'Institut
Lire aussi le dossier
« Où va l’armée française ? » dans
le Spectacle du monde, février 2011.
Photo © Patrick Iafrate