Affaire Kerviel : de l’imposture à la malhonnêteté intellectuelle
Il est impensable que la ligne hiérarchique de ce salarié n’ait pas eu connaissance de l’apparente frénésie spéculative de ce jeune opérateur de marché.
Patrick Verro
Pourquoi je n’ai pas mis de drapeau tricolore à ma fenêtreQuelques candidats supplémentaires aux Molières de la malhonnêteté intellectuelle
Dans la deuxième partie de l’émission « Envoyé spécial » du 14 janvier dernier, intitulée « Complément d’enquête », il fut question des mésaventures du jeune ex-trader de la finance, Jérôme Kerviel, aux prises avec les manœuvres de la mafia du clan des banquiers.
Alors là, je vais coiffer ma casquette d’homme de l’art – diplômé de Haute Finance et de l’Institut des techniques de marché (financier), collaborateur-conseil d’un groupe indépendant de conseil spécialisé (entre autres) dans les progiciels de contrôle de salles de marché – pour répéter ce que j’ai toujours proclamé, à savoir qu’il est impensable que la ligne hiérarchique de ce salarié n’ait pas eu connaissance de l’apparente frénésie spéculative de ce jeune opérateur de marché, et invraisemblable que le
« back office » n’ait pas pu jouer son rôle de contrôle (en termes de limites fixées par contrepartie) des opérations de
« front office ». J’ajoute qu’il est délirant d’imaginer que M. Kerviel ait pu contourner, à lui tout seul, tous les clignotants d’indicateurs de risques dans ce qui était
« la 35e banque la plus sûre au monde », blindée par une armada d’ingénieurs des plus grandes écoles…
Dans cette émission, on peut apprécier
« in video », si je puis dire, ce que la commandante de la brigade financière de la police en charge de l’enquête avoue elle-même, à savoir que plusieurs éléments établiraient que des dirigeants de la banque étaient au courant des agissements de l’ex-trader Jérôme Kerviel, la conduisant même, devant les caméras, à retourner sa colère contre elle-même au motif de s’être laissée
« instrumentaliser ». Cet adminicule est corroboré par des témoignages très troublants :
– la visualisation des
« appels de marge » exorbitants passés sur le compte du trader Kerviel (sur un seul jour, plus de 500 millions d’euros !), à telle enseigne que la filiale de la banque gestionnaire des flux informatiques d’ordres concernant les produits dérivés est tombée plusieurs fois en panne face au gigantisme des données à gérer ;
– les
« blancs » relatifs aux explications de l’accusé face aux questions des experts de la banque figurant sur la bande magnétique enregistrée (et mise sous scellés au préalable par cette dernière) ;
– la disparition totale du registre du personnel des membres de l’équipe, y compris son supérieur hiérarchique, entourant l’ex-trader mis en cause ; le fait qu’ils ont touché de confortables bonus (de 300.000 à 700.000 euros) et la grande difficulté à les faire témoigner (à considérer l’extrême arrogance d’un interviewé, devenu fabricant de whisky).
Lire aussi : Kerviel et la Société générale : où est la vérité ?
Mais le plus difficile à supporter est encore la
« tartufferie » des réponses du cadre supérieur de la banque commis sur le plateau, vraisemblablement pour
« enfumer » son monde, et qui mérite bien la palme d’or des Molières de la malhonnêteté intellectuelle. Jugez vous-même :
– la supervision des ordres passés et de leurs contreparties était
« globale » (des lignes de plus de 500 millions d’euros n’auraient aucunement attiré l’attention) ;
– l’arrêt et le blocage immédiat de l’appareil enregistreur dès qu’un
« silence » se produisait (bien sûr, uniquement ceux de Kerviel) ;
– l’affirmation que ces « super bonus » n’étaient que des salaires différés sur plusieurs années (jusqu’à 6 ans).
La
« cerise sur le gâteau » fut encore cette capacité éhontée à défendre ce montant de déduction fiscale de plus de 2 milliards d’euros que l’établissement bancaire aurait obtenu, à l’époque, du Premier ministre et de
« sa » ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie pour prétendument
« lui éviter la faillite » (alors que, durant la même année, il distribuait des dividendes à ses actionnaires).
Ainsi va le monde avec sa cohorte d’imposteurs en
« col blanc » cyniques et cupides…
Patrick Verro