5 questions sur le sous-marin nucléaire russe repéré au large de la France
Un sous-marin nucléaire russe a été repéré au mois de janvier au large des côtes françaises dans le Golfe de Gascogne. ((FRED TANNEAU/AFP))
"L'Obs" a révélé jeudi qu'un sous-marin nucléaire russe avait été repéré au mois de janvier au large des côtes françaises.
La Russie montre ses muscles. Selon nos informations, la marine française aurait, début janvier, repéré un sous-marin nucléaire lanceur d’engin (SNLE) russe au large des côtes françaises, dans le Golfe de Gascogne.
INFO OBS. Un sous-marin nucléaire russe repéré dans le Golfe de Gascogne
Cette révélation intervient quelques jours seulement après que l'armée de l'air française a indiqué avoir "escorté" deux bombardiers lourds russes TU-160 repérés dans la matinée du 17 février repéré au-dessus de la manche. Faut-il pour autant craindre une escalade ?
1-Que faisait ce sous-marin russe au large des côtes françaises ?
"Seuls deux cas de figure peuvent justifier ces manoeuvres", explique à "l'Obs" François Bernard Huygue, chercheur à l'Institut de Relations Internationales et stratégiques (Iris) :
"C'est soit à dessein militaire, soit symbolique. Heureusement, la première option est exclue. Il s'agit avant tout d'une démonstration de force."
La question est avant tout pour la Russie de montrer à ses voisins qu'elle a retrouvé sa puissance militaire. Et tester les capacités de réactions et les limites de la protection offerte par l'Otan.
Favorisée par les crispations autour des questions syrienne et ukrainienne, ces manoeuvres sont un "retour de la Russie à ses fondamentaux", une façon de prouver "sa capacité à se déployer dans sa zone traditionnelle - mer Noire et pays baltes - et même au-delà", estime François Bernard Huygue :
"Ce sont des méthodes de dissuasion qui rappellent la Guerre Froide. Forte de ses succès - il faut bien le dire - en Syrie et en Ukraine, la Russie envoie un message très clair à ses partenaires et à l'Otan en faisant valoir sa nouvelle position de force."
2-Ce type d'incidents est-il en augmentation ?
Du côté de la Marine, on confirme "une augmentation des activités russes" dans les eaux internationales à proximité des côtes françaises, sans rentrer plus avant dans les détails. "Secret des procédures militaires", invoque-t-on, au sujet du sous-marin repéré dans le Golfe de Gascogne.
Reste que les incidents impliquant des bâtiments de guerre et appareils russes se multiplient. Rien qu'en 2014 : les forces de l'Otan ont intercepté plus de 400 fois des avions russes au sein de son espace aérien, deux fois plus qu'en 2013.
Et la tendance est loin d'être à la baisse. "The Guardian" rappelle qu'entre novembre 2014 et novembre 2015, la chasse britannique avait intercepté à 20 reprises des appareils russes près de l'espace aérien de la Royal Air Force.
Dans son dernier rapport d'activité - qui répertorie les "contacts militaires" entre les forces de l'Otan et la Russie entre mars 2014 et mars 2015 -, l'"European Leadership Network" avait recensé deux incidents "sérieux" comportant un "risque d'escalade" militaire. En décembre 2014, un avion de transport militaire russe avait frôlé un avion de ligne suédois près de Malmo après avoir éteint son transpondeur.
En mars 2015 cette fois, des chasseurs et bombardiers russes avaient utilisé des navires de guerres de l'Otan basés en mer Noir pour simuler des scénarios d'agressions militaires...
"Nous sommes même confrontés à des comportements agressifs. Ils se tournent vers nos avions, et mettent parfois nos pilotes en danger. Et ils sont vraisemblablement armés", explique à la RTBF, le général-major Frederik Vansina, le commandant de l’Armée de l’air belge.
Et les risques sont réels, le 24 novembre 2015, un Soukhoï 24 (SU-24) russe a été abattu au retour d’une mission de combat par deux avions de chasse F-16 turcs. Ankara avait alors accusé les chasseurs d'avoir violé son espace aérien, ce qu'avait démenti Moscou,estimant avoir été visée "délibérément" par les chasseurs de l'Otan.
3-Comment expliquer le silence du Quai d'Orsay et du ministère de la Défense ?
Du côté du Quai d'Orsay et au ministère de la Défense, c'est silence radio, ou presque. En visite jeudi dans une base militaire de Mont-de-Marsan (Landes), Jean-Yves le Drian s'est même fendu d'une étrange déclaration au sujet du sous-marin nucléaire russe détecté à quelques miles marins des eaux françaises :
"Demandez à "L'Obs", a préféré botter en touche le ministre, interrogé par "France Bleu".
"Par principe, la Défense ne communique pas autour sur la détection de sous-marins", rappelle à "l'Obs" Philippe Migault, directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et stratégiques (IRIS) :
"Communiquer sur cette détection équivaudrait pour la France à avouer qu'elle a désormais la capacité de détecter ce genre d'engins russes. Ce n'est évidemment pas le genre de renseignement que les Etats partagent..."
4-Que risque la Russie ?
Concernant d'éventuelles sanctions internationales, Moscou ne risque pas grand-chose en réalité. Membre du Conseil de sécurité de l'ONU, la Russie ne votera pas un jour une sanction contre sa propre politique. D'autant que pour le moment, les avions et bâtiments de guerre russes se contentent de frôler les espaces aériens nationaux sans jamais forcer - ou presque - les limites des eaux et des couloirs aériens internationaux.
Mais paradoxalement, la multiplication de ces manoeuvres pourrait renforcer l'Otan, estime pour sa part Isabelle Facon, de la Fondation pour la Recherche stratégique :
"Le vrai risque pour Moscou est de renforcer le consensus Otanien et de mettre tout le monde d'accord pour dire que la Russie représente une menace crédible."
5-Une réciprocité ?
Pointée du doigt par l'Otan et l'UE, la Russie est-elle pour autant la seule à procéder à ce genre de manoeuvres ? "Non, bien entendu", estime Philippe Migault qui rappelle que la France avait déployé quatre sous-marins nucléaires d'attaques au large de la Libye en 2011, bien avant de recevoir le feu vert de l'ONU :
"Il s'agit d'un retour à la normale. La Russie a retrouvé une puissance militaire qui lui permet de mener ce genre d'opérations, comme le font l'Otan ou les Etats-Unis dans le reste du monde. On est encore bien loin d'un véritable retour de la Guerre Froide."
Lucas BurelLucas Burel
Journaliste