LA PRISE DE LA SMALA d’Abd-el-Kader
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait »(Mark Twain)
Après la prise d’Alger par les troupes françaises du général de Bourmont, le 5 juillet 1830, une longue et pénible campagne de pacification fut entreprise, marquée, entre autres anecdotes guerrières, par la fameuse bataille de la Smala d’Abd-el-Kader.
On entend par smala, une réunion de tentes abritant un peuplement sous l’autorité exclusive d’un « chef de clan arabe ». Plus qu'un campement, la smala est une véritable capitale itinérante de quelque 30 000 personnes, composée d’hommes de toutes conditions, de femmes, d’enfants et de cinq mille combattants armés, fantassins et cavaliers.
La smala avait passé la fin de l’hiver 1843 à deux journées de marche au sud de Takdempt. Instruite qu’on était à sa poursuite, elle erra pendant quelque temps et se trouva le 16 mai à la source de Taguin. Nommé gouverneur général de l’Algérie en décembre 1840, le général Bugeaud menait une politique de conquête totale et de colonisation de l’Algérie en n’ayant de cesse de poursuivre Abd-el-Kader, qui avait proclamé la « guerre sainte » contre « l’occupant français ».
Bugeaud avait été informé de la présence de la smala aux environs de Boghar. Il donna ordre au général Lamoricière ainsi qu’au général de brigade, Henri d’Orléans, prince d’Orléans, duc d’Aumale, de se mettre à sa poursuite.
Ce quatrième fils du roi Louis-Philippe, né à Paris le 16 janvier 1822 était âgé de vingt et un ans. Il avait fait ses premières armes en 1840 comme chef de bataillon au 4e régiment d’infanterie légère, puis comme lieutenant-colonel au 24e de ligne. Quand il avait été mis sous les ordres du général Bugeaud pour la première fois, le duc d’Aumale lui avait écrit le 25 juin 1841 : « Je vous prierai, mon général, de ne m’épargner ni fatigue ni quoi que ce soit. Je suis jeune et robuste et, en vrai cadet de Gascogne, il faut que je gagne mes éperons. Je ne vous demande qu’une chose, c’est de ne pas oublier le régiment du duc d’Aumale quand il y aura des coups à recevoir ou à donner ».
A cela Bugeaud avait répondu non sans grandeur : « Vous ne voulez pas être ménagé, mon prince, je n’en eus jamais la pensée. Je vous ferai votre juste part de fatigues et de dangers, vous saurez faire vous-même votre part de gloire ».
Le 13 mai 1843, le duc d’Aumale qui désirait se rendre digne de son frère aîné (décédé peu de temps avant) et des commandements que sa naissance lui avait fait donner, partit de Boghar avec 1 300 fantassins et 600 cavaliers commandés par les deux plus beaux sabreurs de l’armée, le lieutenant-colonel Morris et le lieutenant-colonel Yousouf (nommé à ce grade par le roi aux Spahis d’Oran), devenu chef des spahis indigènes.
Trois jours après, il apprit que la smala se trouvait à 80 kilomètres au sud de Goudjila. Pour l’atteindre, il fallait franchir vingt lieues d’une traite sans une goutte d’eau. Alors que les soldats étaient à la recherche de la source de Taguin pour se désaltérer, le prince fut informé de la présence inattendue de la smala à cette même source et décida de s’y rendre avec sa seule cavalerie.
Abd-el-Kader était absent, ainsi que ses principaux lieutenants, mais leurs familles étaient là. Le 16 mai, les cavaliers français se présentèrent en vue de l’imposant campement. Qu’allait devoir faire le jeune duc ? Attendre l’arrivée des fantassins ou se risquer à engager, à six cents, le combat contre un ennemi redoutable et dix fois supérieur en nombre ? La tentation était cependant trop forte… Confiant en la qualité guerrière de ses hommes, il ne tergiversa point et s’écria : « En avant ! ». Et, le sabre au poing, il mit sa monture au galop, imité en cela par ses hommes.
Toute la cavalerie s’élança alors, répartie en trois groupes : L’un à gauche, commandé par le lieutenant Delage, le second au centre, ayant pour chef le lieutenant-colonel Morris, le troisième à droite, sous les ordres du capitaine d’Epinay, le lieutenant-colonel Yousouf demeurant aux côtés du duc. Aussitôt le combat s’engagea avec les fantassins arabes. La cavalerie des Ilachems, tous parents de l’émir, se jeta à son tour dans cette mêlée confuse et meurtrière où l’on ne faisait pas de quartier. Enfin, le combat cessa dans une panique indescriptible et une fuite générale de la populace… Les arabes perdirent trois cents des leurs dans cette bataille épique et on dénombra neuf tués et douze blessés du côté français.
La smala d’Abd el-Kader, capitale mobile de l’empire nomade de l’émir venait d’être conquise. Outre le dépôt militaire, cela représentait une agglomération considérable vivant sous la tente et gardée par cinq mille soldats réguliers. Il y avait là toutes les richesses de l’émir, sa famille, son harem, ses archives, son trésor de guerre, ses ateliers de tous corps de métiers, ses provisions, ses armes, ses troupeaux, des otages de tous ordres et un nombre considérable d’esclaves pour servir et faire vivre un aussi gigantesque campement. Le peintre Horace Vernet, qui représenta la scène dans l’immense tableau du musée de Versailles, fit figurer Yousouf en bonne place.
Un des innombrables prisonniers dira à l’issue de la bataille : « Quand nous pûmes reconnaître la faiblesse numérique du vainqueur, le rouge de la honte couvrit nos visages car si chaque homme de la smala avait voulu combattre ne fût-ce qu’avec un bâton, les vainqueurs eussent été les vaincus mais les décrets de Dieu ont dû s’accomplir ».
Un des bons soldats d’Afrique, Charras, écrira à propos de ce hardi coup de main : « Pour entrer avec 600 hommes au milieu d’une pareille population, il fallait avoir vingt et un ans, ne pas savoir ce que c’est que le danger ou bien avoir le diable au ventre. Les femmes n’avaient qu’à tendre les cordes des tentes sur le chemin des chevaux pour les faire culbuter et qu’à jeter leurs pantoufles à la tête des soldats pour les exterminer tous depuis le premier jusqu’au dernier ».
Cette fois, la guerre semblait finie. Le 31 juillet 1843, Louis-Philippe éleva Bugeaud à la dignité de Maréchal de France et nomma le duc d’Aumale gouverneur de la province de Constantine… avant qu’il ne succédât à Bugeaud comme gouverneur de l’Algérie.
La prise de la smala eut une influence considérable sur la suite des opérations militaires contre l’émir. Elle condamna celui-ci à l’errance perpétuelle sur les confins algéro-marocains pour tenter d’échapper aux colonnes françaises… jusqu’au 23 décembre 1847, date à laquelle l’émir se décida à revenir en Algérie où il demanda l’aman (faire sa soumission) au colonel de Montauban représentant le général Lamoricière, à Sidi-Brahim, là, précisément, où il avait remporté une de ses plus grandes et plus cruelles victoires. Il fut exilé, à la demande de Louis-Philippe, à Pau puis au château d’Amboise avant d’être libéré et de partir pour l’exil.
José CASTANO