Le 21 avril 1961, une occasion manquée22 avril 2024 Eric de Verdelhan TEMOIGNAGE 11
« Ils pleureront des larmes de sang, plus tard, lorsqu’ils comprendront !
Au moment où les Français ne sauront plus comment caser leurs enfants
ni leur assurer des situations et leur ouvrir des débouchés, ils ferment
devant eux, de leurs propres mains, ce champ d’action formidable et ce
vaste morceau de notre France qu’était l’Algérie! L’industrialisation de
l’Algérie, à elle seule, aurait eu de quoi occuper trois générations, c’est
perdu! Oui, j’attends les Français avec leurs milliers de jeunes réclamant
des emplois! Et le Sahara,avoir abandonné le Sahara avec ses richesses
inouïes, ses richesses morales surtout; c’était là-bas que se forgeaient
les hommes et les âmes, quelle faute !
Les Français comprendront plus tard, et ce plus tard sera bientôt! »
(Maréchal Alphonse Juin (1))
La citation du maréchal Juin ci-dessus date de 1962, mais elle n’a pas pris une ride.
Plus de soixante ans après son indépendance, l’Algérie a gâché le bel héritage laissé par les Français.
Quant à la France, elle a renoncé à son autosuffisance énergétique en bradant le Sahara.
Trois ans après les funestes Accords d’Évian, nous abandonnions Mers-El-Kebir, trois autres années
encore et nous laissions le Sahara et ses immenses gisements de gaz et de pétrole. La France, réduite
à un hexagone, tirait un trait sur ses matières premières. Le premier choc pétrolier, en 1974, s’est
chargé de le rappeler à un peuple trop stupide pour comprendre que nous aurions dû conserver nos
départements d’outre-Méditerranée, autant par intérêt que par attachement sentimental.
La fin de l’Algérie française aura été, en fin de compte, un match nul, perdant-perdant.
Grâce aux opérations du « Plan Challe » nous avions gagné ce conflit militairement.
Le FLN (2), avec la complicité du gouvernement français l’a gagné politiquement. En effet,
il faut arrêter d’entretenir le mythe du peuple algérien se levant d’un bloc contre le colonisateur
honni. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1958, quand l’ermite de Colombey revenait aux affaires,
l’ALN disposait de 20 000 combattants et autant d’auxiliaires, soit 40 000 hommes plus ou moins
bien armés. Lors des accords d’Évian (18 mars 1962), elle avait moins de 4 000 combattants
réguliers et 10 000 moussebilines. Et dans le même temps, les effectifs des musulmans algériens
servant dans (ou aux côtés de) l’Armée française passeront de 30 000 à… 260 000 hommes.
Certes, certains se sont engagés moins par conviction politique que par refus des méthodes
barbares du FLN mais, qu’on le veuille ou non, ils avaient choisi de servir la France. Beaucoup
sont morts pour elle.
« On ne s’est pas enlacés pendant 130 ans, écrira le sociologue Jacques Berque, sans que cela
descende très profondément dans les âmes et dans les corps… ».
De nos jours, les dirigeants algériens tentent de faire oublier leur incompétence crasse et la
corruption endémique qui gangrène leur pays en chargeant la France de tous les maux. La moitié
du peuple algérien – soit plus de 20 millions de personnes – a moins 25 ans, et on lui apprend
dès son plus jeune âge à détester la France. Les déclarations irresponsables de Macron, le
« rapport Stora » et notre mea culpa perpétuel viennent – chaque jour un peu plus – mettre
de l’huile sur le feu.
Il ne sert à rien de réécrire l’histoire, car, comme dit l’adage populaire : « Si ma tante en avait,
on l’appellerait mon oncle » or, dans notre époque qui perd tous ses repères, l’oncle peut
« en avoir » et…être une tante. Pourtant, quand arrive le 21 avril, je me dis que la réussite
du putsch d’Alger aurait été assurément une bénédiction, tant pour les Français que pour
les Algériens.
Hélas, ce pronunciamiento, comme tant d’autres, a fait un flop. Dès le 26 avril 1961,
Maurice Challe, l’un des putschistes du « quarteron de généraux à la retraite » fustigé
par De Gaulle dans une allocution télévisée, se rendait aux autorités, et avec lui, le
commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, dont le régiment – le glorieux 1er REP (3) –
avait été le fer de lance du soulèvement.
Ainsi s’achevait, tristement, le dernier sursaut de l’Algérie française.
Toute cette affaire, qui se terminait mal, avait commencé quelques jours plus tôt.
Le 21 avril 1961, l’Armée – une partie – entrait en dissidence : les généraux Challe,
Zeller, Jouhaud, puis, dès le lendemain, « le Mandarin » Raoul Salan, prenaient le
pouvoir à Alger.
Des généraux, des colonels, des capitaines les avaient suivis avec leur régiment, ou,
plus modestement leur section. Le 1erREP, les Commandos de l’air, des régiments paras
accompagnaient cette rébellion.
Les civils, « pieds-noirs » ou musulmans, avaient été tenus à l’écart (à l’exception
de membres du groupe « France-résurrection » chargés de guider les troupes).
L’Armée voulait un coup d’État militaire. On peut penser, après coup, que le putsch
était jouable en y associant les « Pieds-noirs » et les musulmans pro-français. Charles
Maurras a dit : « Un peuple qui néglige son Armée est un peuple malade. Un peuple
qui se sépare moralement de son Armée est un peuple perdu … ».
Lors de la « semaine des barricades » de janvier 1960 à Alger, les civils ont agi seuls ;
en avril 1961, les militaires ont voulu agir seuls ; bilan de ce sectarisme réciproque :
deux échecs !
Les services secrets français annonçaient depuis longtemps que le malaise de l’Armée
pouvait dégénérer en coup de force mais De Gaulle n’y croyait pas. En fait, ce « militaire
de plume » ne comprenait rien à l’Armée d’après-guerre. Cette Armée qu’il avait lui-même
désorganisée à la Libération et qui présentait un arc-en-ciel d’idéaux très disparates.
Quant aux militaires qui avaient cru en De Gaulle le 13 mai 1958, ils tombèrent de haut,
en septembre 1959, quand ce dernier inventa « l’autodétermination ». De Gaulle ne
cachait pas son dédain, voire son mépris, pour les militaires. Lui, l’intellectuel, le littéraire,
supportait mal leur lenteur d’esprit. Mégalomane et orgueilleux, il se jugeait au dessus de
la mêlée. Pour lui plaire, un général devait être : «… un homme d’état, un visionnaire,
un réformateur et un poète. Ramsès II, Mahomet, Saint Louis et Pierre le Grand avaient
toute son admiration, mais les hommes d’une pareille envergure sont rares dans l’armée… »
(4). Durant ses 12 années d’exil, sa longue traversée du désert à Colombey, il avait perdu le
contact avec la nouvelle Armée.
Or cette Armée, humiliée en Indochine, trouvait en Algérie une raison d’espérer. Il attribua
le malaise des militaires à un manque de discipline et aux faiblesses de la 4ème République.
Cynique, il ironisait en public sur ces soldats « qui ne voient pas plus loin que le bout de leur
djebel … ».
Le 21 avril donc, la « grande muette » sort de sa réserve et… des ses casernements; le
putsch démarre ! Ceux qui l’ont fomenté ne veulent pas mettre à mal la République, ils
veulent simplement sauver l’Algérie française. Ce n’est pourtant pas ce que l’histoire
« officielle » retiendra !
La Maison de la Radio fut enlevée sans coup férir par les Légionnaires-paras du 1er REP,
aux ordres, par intérim, du commandant Denoix de Saint-Marc.
Avant de partir en permission, son colonel lui avait déclaré : « Je vous confie le régiment.
Nous vivons une époque tragique où il n’est pas facile pour un soldat de savoir où est
le droit chemin… » À 18 ans, Saint-Marc a été déporté à Buchenwald. Il a eu une conduite
héroïque en Indochine comme en Algérie. C’est un homme de devoir et d’honneur.
Pour Hélie de Saint-Marc, le général Challe est celui qui « a commandé les troupes
françaises et les a menées à la victoire ». Il éprouve pour lui « admiration, respect
et amitié » (5). Quand Challe, en civil, en simple blouson d’aviateur, sans écusson ni grade,
le convoque, il lui déclare sans ambages : « Je suis un démocrate, Saint-Marc, ni raciste,
ni fasciste, mais il s’agit bien d’un coup d’État… ». Et Hélie de Saint Marc, n’écoutant que sa
conscience, a lancé ses Légionnaires-parachutistes à l’assaut des points stratégiques d’Alger.
La réputation, la qualité et la discipline des troupes putschistes évita un bain de sang.
Un adjudant du REP fit une victime – la seule – en ripostant contre un tir des gardiens du
poste relais d’Ouled Fayet. Le lieutenant Durand-Ruel, du REP, tira lui aussi un seul coup de
feu… dans le pneu de la jeep du général Gambiez qui « gesticulait comme un diable »
pour arrêter, à lui seul, un convoi de Légionnaires-paras. Le lieutenant Godot avait
désarmé sans difficulté le général Vézinet. Ce dernier, indigné, déclarait : « De mon temps,
es lieutenants n’arrêtaient pas les généraux ».
Et Godot avait répondu sèchement: « De votre temps, les généraux ne trahissaient pas ! »
Les unités se rallient comme prévu : après le 1er REP, les 18ème et 14ème RCP puis le 1er REC
avec ses Harkis. On annonce l’adhésion du 27ème Dragons du colonel Puga, du 7ème RTA,
ce régiment qui fut glorieux à Diên-Biên-Phu, du 1er RIMa du commandant Loustau.
Les putschistes se prennent à rêver : c’est la victoire ! Oui mais, comme l’écrira Pierre Montagnon :
« Alger n’est pas l’Algérie ».
À Constantine, le général Gouraud joue la valse-hésitation. À Batna, le général Ducourneau
choisit la fuite, c’est-à-dire d’attendre le vent. À Bône, le général Ailleret… attend de voir.
À Oran, les troupes ne suivent pas le général Gardy.
Dans l’Armée d’active, chez les « Centurions », c’est une explosion de joie et d’espoir.
Pourtant, les plus lucides comprennent vite que c’est fichu : on attendait Massu ou Bigeard.
Ils ont tous deux choisi leur carrière. On espérait un soulèvement des « Pieds-noirs » et des
ex « Unités Territoriales » ; Challe n’a pas voulu mêler les civils à son coup de force.
Le 22 avril cependant, on veut y croire encore : Argoud est arrivé à Oran avec deux régiments
paras. Le 2ème REP, aux ordres de ses capitaines, part pour Alger. Le colonel Ceccaldi – pourtant
Compagnon de la Libération – entraîne avec lui les 6ème et 2ème RPIMa et le 9ème RCP.
À un régiment près – le 3ème RPC, l’ancien régiment de « Bruno » Bigeard – les deux divisions
parachutistes, le 10ème et la 25ème DP, ont basculé dans la rébellion.
Le 23 avril va être la journée de l’enlisement. A quoi faut-il attribuer l’échec du putsch ?
Les causes sont multiples mais les historiens sont assez unanimes sur certaines d’entre elles :
– La volte-face de plusieurs généraux qui, au dernier moment, se sont défaussés.
– Ce drame ne concernait que les « Pieds-noirs », que Challe a refusé d’embrigader,
et l’Armée d’active (en dehors des régiments parachutistes qui étaient très majoritairement
composés d’appelés). Le contingent n’avait qu’une hâte et une envie : rentrer en métropole.
– Mais la principale raison de l’échec du putsch fut l’utilisation, savamment
orchestrée, de la télévision par De Gaulle. Le 23 avril en soirée, il prononça une allocution
qui fit date. Personne n’a oublié ce « quarteron de généraux à la retraite… qui a pris le
pouvoir en Algérie… ». Et De Gaulle de rajouter, en martelant bien les mots :
« J’interdis à tout soldat d’exécuter aucun de leurs ordres… ».
Le peuple français est peureux ET légaliste (ou légaliste parce que peureux ?).
Il attendait que le guide le ramène dans le droit chemin; celui de la tranquillité,
de la soumission moutonnière.
L’homme, que personne n’avait entendu le 18 juin 1940, fut écouté par des millions
de Français le 23 avril 1961. Une fois de plus, le grand homme allait sauver la France !
Dès le lundi 24 avril, la situation se dégrade et le 25, le navire prend l’eau de toutes parts.
Le général Challe décide d’arrêter et de se constituer prisonnier.
Certains voudraient continuer le combat mais à quoi cela mènerait-il ?
Dans le ciel d’Alger on voit passer les «Noratlas » qui regagnent la France.
En fin d’après-midi, les régiments parachutistes et ceux de Légion Étrangère regagnent
presque tous le Constantinois, d’où ils sont venus. Quand la nuit tombe, le 1erREP
quitte le Gouvernement Général et embarque dans ses camions. Des accents gutturaux
– des légionnaires d’origine allemande – entonnent « Je ne regrette rien », cette
chanson d’Édith Piaf en vogue à l’époque. Challe, Jouhaud et Salan se mêlent aux Légionnaires.
Zeller s’est éclipsé dans la foule. Des colonels font de même ainsi que quelques officiers.
Le putsch est terminé ! Les lendemains seront amers pour les vaincus : Challe,
puis Zeller occupent les cellules désertées par Ben Bella et ses complices. D’autres généraux
les rejoignent : Bigot, Gouraud, Petit. Ainsi que les chefs de corps les plus compromis : La Chapelle,
Masselot, Robin, Saint Marc, Lecomte, Cabiro, Bréchignac… Plusieurs sont des héros de Diên-Biên-Phu.
La colère gaullienne frappe aussi les régiments : le 1er REP, les 14ème et 18ème RCP (6),
les Commandos de l’air, sont dissous. Les deux divisions parachutistes – la 10ème et la 25ème
– dont les chefs ont été soit rebelles soit attentistes, sont dissoutes et refondues en 11ème DLI (7).
Cette division sera retirée du champ de bataille et rapatriée, dès l’été 1961, vers les brumes lorraines.
À la suite du putsch d’Alger, le pouvoir annonça que 1100 à 1200 officiers et sous-officiers
étaient « écartés » de l’Armée. De Gaulle réglait ses comptes !
Au moment du putsch, j’ai 11 ans et je suis « enfant de troupe » au Prytanée militaire
d’Aix-en-Provence. Dans ma section, nous sommes deux fils d’officiers supérieurs, tous
deux parachutistes.
Allez comprendre pourquoi la chanson « Je ne regrette rien » me donne la chair de poule
chaque fois que je l’entends, plus d’un demi-siècle après le putsch des généraux ?
Je n’ai rien oublié… Semper Fidelis.
Éric de Verdelhan
P.S : Ce texte est tiré, en grande partie, de mon livre « Hommage à notre Algérie
française » (Éditions Dualpha ; 2019).
1)- Qui fut condisciple de Charles De Gaulle à Saint-Cyr, et notre dernier maréchal
de France.
2)- FLN = Front de Libération National algérien.
ALN = Armée de LibérationNationale, armée du FLN.
3)- : Régiment Étranger de Parachutistes
4)-: « Les combattants du crépuscule » de l’américain Paul Henissart; Grasset; 1970
5)-: Témoignage d’Hélie Denoix de Saint-Marc dans ses « mémoires » (et dans le
« livre blanc de l’armée française en Algérie »).
6)- : Régiment de Chasseurs Parachutistes
7)-: 11ème Division Légère d’Intervention