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Paras au combat en Afghanistan - Un bilan de cinq mois de missionFrédéric Pons et Marc Charuel, le 04-12-2008
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Marc Charuel |
Dans l’est du pays, sous commandement américain, 600 soldats français face aux talibans. Reportage.Dimanche, minuit, vallée d’Afghania. La section Blanc 2 a monté un check point surprise, sous un ciel froid, illuminé d’étoiles.
« Des talebs
grenouillent là-dedans, murmure le lieutenant Guillaume de Gastines, 27 ans, chef de Blanc 2, la 2e section de la 1re compagnie du 8e RPIMa.
On a commencé à les repousser vers le fond de la vallée.Nos successeurs finiront le travail. »Débarqués des VAB (véhicules de l’avant blindés), les groupes de combat surveillent la route. Leur colonel, Jacques Aragonès, est au milieu de ses hommes.Patron du 8e RPIMa,diplômé de l’École de guerre et breveté instructeur commando,ce chef charismatique aime
« commander à la voix ».C ette fois, il laisse son jeune lieutenant agir, satisfait :
« Il ne faut jamais se mettre à la même place car on est observé. Ils pourraient avoir préparé un engin piégé. »Aragonès commande la task force Chimère déployée dans la province de la Kapisa, au nord-est de Kaboul, sous commandement américain. Ce bataillon
français de 600 hommes est composé principalement de parachutistes, appuyés par des cavaliers légionnaires du 1er régiment étranger de cavalerie d’Orange et par 70 marines américains. Aragonès a la responsabilité de 1 900 kilomètres carrés et 300 000 habitants, des Tadjiks et des Pachtouns. Il s’appuie sur deux bases opérationnelles avancées : Nijrab, où se situe son PC, et Tagab, vingt kilomètres plus au sud, où cantonne sa 2e compagnie. Kaboul est à trois heures de route, vingt minutes en hélicoptère
(lire page 16). «Le secteur est stratégique car les trois grandes vallées de la Kapisa contrôlent la voie de contournement de Kaboul, entre le Pakistan et le Tadjikistan », explique le colonel sur une carte d’état-major d’origine soviétique. Les noms en cyrillique sont doublés en alphabet latin.
« Là, la vallée d’Alasay, le coeur de l’insurrection,une zone de transit et un secteur refuge. » Longtemps abandonnée aux talibans, elle a été reprise par les Français à partir de juillet. Les insurgés ont accusé le coup. Pas un jour sans accrochage.
« Ils manoeuvrent bien mais ils tirent mal ! » Leur propagande ne cesse jamais auprès d’une population peu éduquée, crédule :
« Ils essaient de nous faire passer pour des soldats américains, voire russes. » Les insurgés sont une cinquantaine en permanence, mais ils sont capables de se mobiliser très vite et de doubler leurs effectifs :
« Leur volume est fluctuant. On observe l’arrivée d’éléments étrangers, qui leur apportent des armes et des méthodes nouvelles. » Les paras ont observé des changements de comportement :
«Cet été, les insurgés avaient le souci de préserver la population. Ce n’est plus le cas. » Conséquence : la population est excédée et livre davantage de renseignements.
« Des villages ont même demandé aux insurgés de foutre le camp… » La nuit est calme. La vallée d’Alasay
dort ou fait semblant. Un chien aboie au loin, les maisons s’éteignent une à une. Accrochés à leur 12.7, les tireurs de Blanc 2 observent le village en contrebas,la ligne d’arbres qui marque l’oued. Dans leurs jumelles de vision nocturne, le paysage s’éclaire dans une étrange lumière verdâtre. La radio chuinte de brefs comptes-rendus.Au loin, des ombres s’enfoncent dans la nuit : un groupe de combat change de position.
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Marc Charuel |
« RAS, calme plat, soupire le lieutenant. Soit notre dispositif est éventé, soit les insurgés roupillent. » Une patrouille pour rien ?
«Non ! Nous assurons une présence, une dissuasion, nous faisons changer l’insécurité de camp. » La tension restera palpable jusqu’à l’entrée du fort Morales-Frazier, base du bataillon français.
«Attention : ils peuvent nous attendre sur le chemin du retour. Quelques rafales, un IED[Improvised Explosive Device ou engin explosif improvisé]
ou une saloperie de ce genre. » Personne n’oublie quele VBL du caporal-chef Pilard a sauté sur un IED de 27 kilos d’explosif, posé à 900 mètres de l’entrée du fort. L’IED est la bête noire de nos soldats. On y pense à chaque patrouille.Largement utilisés par l’insurrection irakienne, ces pièges mortels ont fait leur apparition en Afghanistan.
«Plus ou moins sophistiqués, à fil, à pression, radiocommandés, difficilement détectables, ils peuvent éventrer un VAB, explique l’adjudant Plantagenest, 33 ans, du détachement du 17e régiment du génie parachutiste (Montauban).
L’Afghanistan est le supermarché de la munition. » Ce spécialiste est l’un des plus jeunes spécialistes Nedex (neutralisation d’explosifs) de l’armée. Il en est à sa huitième opération extérieure en quinze ans :
«On a beaucoup progressé ici pour les IED. Il ne faut surtout pas les sous-estimer. » Lundi, 19 heures. La distribution du repas s’achève sous les tentes de l’ordinaire. Salade de céleri,pâtes aux lardons, oranges.Après quatre mois de rations, les hommes apprécient les vivres frais. Un coup sourd déchire soudain la nuit froide. «
Mortier ? RPG ? » Au deuxième coup,tout le monde est dehors.Premier compte-rendu :
«C’est Foxtrot Bravo.Le poste afghan est accroché.» Bâti en belvédère, le fortin français domine le feu d’artifice qui illumine la vallée d’Alasay, à moins de quatre kilomètres. De longues rafales de traçantes strient le ciel.
«Vous voyez, hier, c’était calme, ce soir, ça accroche », me lance un caporalchef guilleret qui épluche son orange en regardant le spectacle.
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Marc Charuel |
Les militaires afghans ont demandé aux Français un tir d’obus éclairant.Les
équipes du 35e régiment d’artillerie parachutiste de Tarbes entrent dans la danse.Leurs trois mortiers de 120 millimètres commencent les tirs d’appui.
« Retard à 40 secondes. » Les charges sont ajustées.
« Tirez dès que prêts. »Chaque départ ébranle le sol et soulève un nuage de poussière.L’écho se répercute dans les montagnes. Quarante secondes plus tard, la vallée
s’éclaire, pour une minute.
« C’est une affaire entre Afghans. On éclaire le champ de bataille »,
commente l’adjudant Maestrutti, 37 ans, dont dix-huit passés à Tarbes.
En bas, les soldats afghans peuvent riposter sur les ombres qui les cernaient. Des tirs en cadence rapide et deux ou trois coups plus sourds remontent de la vallée :
« 14.5 et RPG», traduit l’adjudant.Un grondement continu laboure le ciel opaque :
«Un F-15.Les Ricains sont là. » Le ballet des obus éclairants durera jusqu’à 21 heures. Ce théâtre interdit toute routine, ce qui le rend si épuisant,avec ses terribles conditions météorologiques. Parfois, les températures passent en quelques heures de 19 à plus de 50 °C. Le matériel et les hommes souffrent. En patrouille, les paras portent près de 40 kilos. Dès la sortie du poste, le port du gilet pare-balles et du casque est obligatoire. À cela s’ajoutent douze ou quinze chargeurs de 25 cartouches, les grenades,les roquettes, l’eau et de quoi manger. La quantité de munitions emportées va au-delà de ce que prévoit le règlement.
«Mais ceux qui les font devraient parfois venir nous voir sur le terrain », grondent Hervé et Didier, deux solides adjudants-chefs. Il faut aussi être jeune et sportif pour faire ce métier.
«Avoir surtout la foi dans sa mission et une grande confiance dans ses camarades, autrement on ne supporte pas longtemps ce rythme», corrigent ces deux piliers du “8”. Les
patrouilles et les check points ont permis aux Français de reprendre l’initiative. Aragonès a appliqué la technique de la tache d’huile : «
Il faut de la progressivité dans l’appréhension du terrain. » De Nijrab et de Tagab,sa force Chimère s’enfonce toujours plus loin dans les vallées : «
Notre présence permanente, de jour comme de nuit, rassure la population. On lui montre que les insurgés ne font plus la loi.
C’est une façon de la rallierà la reconstruction du pays. » Cette “bataille des coeurs” est loin d’être gagnée. Certains secteurs, peuplés en majorité de Tadjiks (l’ethnie de l’ancien commandant Massoud), sont calmes. D’autres, à majorité pachtoun (l’ethnie des talibans), restent à pacifier.
« C’est une bataille de volontés, dans laquelle le succès ne sera pas que militaire mais aussi politique, économique, social. »Les paras français sont là pour reconquérir et sécuriser,pas pour s’installer et reconstruire. C’est l’un des objectifs majeurs de l’afghanisation des tâches de sécurité. Les insurgés restent à l’affût de tout. Chaque faute est aussitôt exploitée. Impénétrables, les civils comptent les coups.Paysans ou commerçants le jour, insurgés dans l’heure qui suit, ils ont toujours l’arme à portée de main et des relations claniques à respecter.
«Nous n’avons jamais sous-estimé l’ennemi, confie Aragonès.
D’emblée,nous savions qu’ils n’attaquent que lorsqu’ils pensent avoir un rapport de force favorable.Nous avons toujours fait en sorte d’éviter de nous mettre en situation de faiblesse. » Le 18 août, dans la vallée d’Ouzbine, à une trentaine de kilomètres au sud de la Kapisa, les insurgés ont réussi à être en position de force.Aragonès et son bataillon ont suivi, impuissants, cette terrible embuscade dans laquelle dix de leurs camarades ont laissé la vie (dont huit de Castres). Pudiques, les paras évitent de commenter cette affaire.
«On
paie toujours cash son excès de confiance… On n’avait pas mis le paquet
comme il fallait… Sans appuis et sans hélico, c’était foutu », confient quelques jeunes sous-officiers.
« Il faut toujours s’attendre à tout », lâche le sergent Bourega, un miraculé. “Boubou” se repose de ses blessures.
« J’avais fait 52 patrouilles et 7 accrochages. J’ai été touché au huitième. » Chef de groupe à Blanc 2, Bourega est un de ces “volontaires” (la devise du
“8”) qui ont fait la réputation du régiment. Engagé à 17 ans et demi, Embarek Bourega, 37 ans, trois enfants, affiche vingt ans de service et
une liste impressionnante d’opérations extérieures, en Afrique, dans les Balkans et jusqu’au Cambodge. Arrivé le 9 juillet à Nijrab, il accroche dès le 15, avec une bonne surprise :
« Tous les réflexes acquis en six mois d’entraînement intensif ont joué. On a validé notre formation. » Sept autres accrochages vont suivre, de quelques minutes à près de deux heures de combat.
« Parfois les mecs nous allumaient à 50 mètres à peine. » Le 29 octobre, une recherche de caches d’armes s’achève dans le village d’Ebadkhel.
«Ma cinquante-deuxième patrouille », sourit le sergent Bourega. Infiltration à 4 h 30 du matin, fouilles : bingo ! Les caches sont trouvées. Et, soudain,un message radio :
« Encerclement en cours. » Premiers tirs.
«À cet instant, nous sommes en vigilance à 300 %. » Le groupe réagit par des tirs de saturation pour se dégager. L’ennemi décroche, riposte au hasard.
« J’ai entendu une roquette de RPG exploser à dix mètres derrière moi.» Jeté au sol, “Boubou” a pris des éclats au bras et dans les reins, à deux centimètres de la colonne vertébrale. Sonné, gravement blessé, il ne pense qu’aux autres blessés, qu’à sortir son groupe du guêpier. Benjamin Fontaine, 21ans, le plus jeune, est lui aussi atteint : cinq éclats de roquette dans la tête et l’omoplate.
Bourega veut coordonner la riposte de ses paras, refuse la morphine. Il
pense à son épouse Élodie, sur le point d’accoucher de son premier fils
:
« Je ne voulais pas crever ici. » Mais le combat continue. Le caporal-chef Munaoa, l’un de ses chefs d’équipe, un colosse polynésien, comprend que son sergent est incapable de se protéger. Les deux hommes se connaissent depuis seize ans.Munaoa n’hésite pas : il s’allonge sur son chef, le couvre de sa grande carcasse, pour le protéger de la mitraille.
« Son réflexe m’a fait chaud au coeur… » Tout s’enchaîne ensuite très vite :
«Le doc est arrivé, une zone de poser d’hélico a été aménagée, on a été évacués sur l’hôpital américain de Bagram puis sur Kaboul. » Aragonès et ses hommes le confirment : cette guerre a revitalisé la fraternité au combat entre les Français et les Américains.
« Ils nous ont testés, c’est vrai. Maintenant, on travaille en confiance. » Pas une opération lourde ne s’engage sans un appui ou une reconnaissance aérienne fournis par les Américains.
« Ils nous donnent des capacités complémentaires. Leurs avions sont là en quinze minutes. » De retour à Castres dans quelques jours,le colonel Jacques Aragonès aura eu la chance de commander au feu l’un des meilleurs outils de combat de l’armée française. Le dur entraînement subi pendant six mois en France a été payant, à tous les niveaux.
«Une formation exceptionnelle, dit-il.
Le puzzle de la formation s’est mis en place. » Ses paras ajoutent :
«On a découvert le feu, la cohésion au combat. On est au coeur du métier.» Les matériels “valorisés” ou achetés en urgence ont aussi sauvé des vies et fait progresser le confort et surtout l’efficacité des soldats. L’état-major tire déjà les enseignements de ce retour à la haute intensité. Il
faudra sans doute encore forcer quelques routines de temps de paix,
notamment en matière d’intendance.
«Nous avons reçu une vingtaine de visites des hautes autorités, sourit Aragonès.
Et deux fois plus de journalistes. » Les chasseurs alpins prennent le relais dans la Kapisa.Après cinq mois sur le front afghan, Aragonès leur adresse ce conseil :
« Se consacrer pleinement au métier. Être imprévisible. »