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| Budget de Défense et containtes financières | |
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Philippe MULLER Expert
| Sujet: Budget de Défense et containtes financières Jeu 3 Mar 2011 - 22:31 | |
| Source : ASSOCIATION SOUTIEN À L'ARMÉE FRANÇAISE Jeudi, 03 Mars 2011 17:11 - Citation :
http://www.asafrance.fr/images/stories/images/desportes.jpg Interview du Général Vincent Desportes pour la Revue "Défense" de l'UNION-IHEDN. Le général Desportes enseigne la stratégie à l'institut d'études politiques de Paris et à HEC.
« Il y a une limite à cette posture intellectuelle qui subordonne les dépenses de défense aux seules analyses macro-économiques »
Défense : Quelle analyse faites-vous de la baisse générale des budgets de défense en Europe ?
Vincent Desportes : Le Secrétaire américain à la Défense Robert Gates l'affirme : « notre premier ennemi, c'est la crise ! ». Pourtant, outre Atlantique, en dépit des difficultés budgétaires les budgets de défense ne cessent d'augmenter depuis septembre 2001 même si les Etats-Unis prévoient pour l'avenir des augmentations plus modérées de leurs budgets. Avant cette date symbolique, les budgets de défense diminuaient régulièrement. Cette évolution s'est inversée depuis les attentats du World Trade Center et les Etats-Unis relèvent depuis constamment leur garde en matière d'effort de défense. Ils sont dans le vrai, parce que globalement les dépenses militaires mondiales continuent d'augmenter, indépendamment du budget américain. Washington a compris - quelle que soit l'administration au pouvoir, démocrate ou républicaine - que pour conserver sa place dans le monde d'aujourd'hui, il est nécessaire de préserver sa puissance militaire.
A l'inverse, les budgets européens de défense sont en baisse parce que les critères d'évolution sont déconnectés des nécessités opérationnelles. Les visions de l'avenir sont davantage comptables que stratégiques.
A terme, cette situation est dangereuse. Inévitablement, dans le moyen, voire dans le court terme, ne serait-ce que pour d'incontournables raisons démographiques, le tropisme européen des Américains va s'affaiblir, les États-Unis vont finir par distendre leurs liens avec la vieille Europe, réorientant leurs priorités stratégiques vers leur Sud et vers leur Ouest. Nous risquons alors de nous retrouver, nous Français, nous Européens, avec une défense très affaiblie dans un environnement stratégique redessiné dans lequel notre « réassurance américaine » aura tout simplement disparu.
Défense : Comment expliquez-vous cette tendance dangereuse ?
Vincent Desportes : Notons d'abord que beaucoup d'Américains eux-mêmes prédisent le repli américain. Parmi eux, dans son dernier ouvrage, le professeur Mandelbaum annonce la fin de l'hyperpuissance (The Frugal Superpower : America's Global Leadership in a Cash-Strapped Era, Public Affairs). Avec l'augmentation du coût de la dette et des dépenses de santé, il explique que les États-Unis sont condamnés à trouver des ajustements en réduisant les budgets régaliens dont celui de la défense. Cette nécessité va en outre se conjuguer avec les expériences irakienne et afghane : elles ne vont sûrement pas inciter les Etats-Unis à s'engager rapidement à nouveau dans ce genre d'aventure extérieure.
Il y a une limite - atteinte à mon avis - à cette posture intellectuelle qui subordonne les dépenses de défense aux seules analyses macro-économiques, voire aux critères de convergence européens Nous devons réapprendre à réfléchir à partir des analyses stratégiques globales. Autrement dit la réflexion concernant notre effort national de défense ne doit pas être mené en fonction de considérations d'abord comptables, même si celles-ci ne peuvent être oubliées. Nous devons rebâtir notre réflexion de défense sur les évolutions fondamentales de notre monde du XXIème siècle - désormais nettement perceptibles - qui est tout aussi dangereux et plus complexe que le précédent.
Défense : Pourquoi l'Europe est-elle aussi allergique à la puissance ?
Vincent Desportes : L'affaiblissement actuel (en aval) de la priorité de défense est symptomatique d'un autre affaiblissement structurel (en amont) des fonctions régaliennes. Cette évolution est probablement le fruit d'une crise de la légitimité de l'Etat. Et de la confiance qu'on lui accorde. Viennent ensuite des postures européennes liées à notre histoire récente manifestant non pas une allergie à la guerre - ce qui est parfaitement légitime - mais une allergie à la pensée même de la guerre. En Europe, parce que la paix en a été la première raison et la première vision, on est persuadé que la guerre... c'est pour les autres. Si l'Union européenne a pu fabriquer de la paix et de la prospérité, nous devrions avoir la sagesse de considérer ces acquis comme éphémères, liés à des données historiques fluctuantes...et qu'ils ne sont acquis, justement, que tant que l'on est capable de les protéger des agressions extérieures.
Revenons rationnellement à l'histoire, à notre histoire la plus récente pour considérer raisonnablement que ces avancées ne sont ni naturelles ni géologiques mais qu'elles demeurent fragiles, pouvant être remises en cause par des accélérations rapides de l'histoire.
Une Europe désarmée pourrait être concevable dans le cadre d'un monde désarmé. Nous en sommes loin, et les évolutions actuelles confortent un mouvement qui s'emballe aux antipodes d'une telle hypothèse. A terme, dans cette perspective, nous risquons de nous trouver très affaiblis - et dépendants - dans un monde dangereux et surarmé...
Nous devons être attentifs aux évolutions réelles. Dans le sillage de la baisse des budgets de défense, suit la diminution de nos capacités d'action extérieures ; elle entraîne fatalement une érosion de l'influence de notre pays alors que, jusqu'à récemment, notre influence stratégique et diplomatique pouvait aller très au-delà de notre « poids » réel.
Défense : Que faire pour inverser, sinon contrer la tendance ?
Vincent Desportes : Dans ce contexte, on ne peut pas tout faire. Mais on peut commencer par
dépenser mieux. Nous avons perdu la bataille des normes et des modèles. Bon gré mal gré, nous avons dû adopter les normes technologiques américaines qui font désormais la loi... Nous continuons à poursuivre des modèles qui finissent par conduire nos armées à la perte de cohérence opérationnelle et à la baisse des formats ... sans nous demander si le modèle américain - porté d'ailleurs par des budgets de défense sans commune mesure avec les nôtres - est, en dernière instance, réellement efficace. Dans les dernières décennies, ce modèle a-t-il vraiment fait ses preuves ? La question mérite d'être posée !
Nous constatons déjà que beaucoup de nos choix militaires ne nous appartiennent plus... Les normes américaines se traduisent chez nous, en Europe, par des armées aux formats réduits qui permettent de moins en moins à la France de tenir sa place dans le concert international. Et l'Europe n'a pas pris la relève ! Nous sommes aujourd'hui dans une situation de baisse préoccupante de nos capacités opérationnelles.
Défense : Cette évolution correspond-elle à une volonté américaine délibérée ?
Vincent Desportes : Je ne sais pas. Une chose est claire : l'imposition des modèles actuels se solde par une subordination de nos forces. Nous conservons une relative autonomie aux niveaux tactiques mais nous avons une grande difficulté à faire entendre notre voix au niveau stratégique. Qu'on me contredise ou non, l'exemple afghan est assez clair sur ce point.
Défense : Dans le monde d'aujourd'hui, peut-on encore se satisfaire d'un modèle hégémonique par la seule puissance militaire ?
Vincent Desportes : Très clairement ce modèle n'est plus pertinent parce que le monde s'organise aujourd'hui très différemment de celui de la Guerre froide. Nous avons exporté nos modèles et nos valeurs depuis la Renaissance, ce qui nous a permis au passage de nous assurer d'une supériorité militaire non partagée. Désormais, l'Occident a perdu son avantage militaire (« il n'a plus le monopole de l'histoire » dirait Hubert Védrine). Nous devons admettre que le monde d'aujourd'hui s'organise différemment à travers de nouveaux modèles dont les fondements conceptuels ne proviennent plus de l'épistémè occidental. Le monde bipolaire reposait sur ce qu'on appelait l'équilibre de la terreur. Le monde unipolaire s'est finalement caractérisé par une dévalorisation de la puissance militaire. Aujourd'hui, nous devons bien admettre que d'autres puissances émergent et je ne pense pas seulement à la Chine, l'Inde et le Brésil... Quelle plus belle expression que celle de Pierre Hassner quand il constate que « nous ne sommes plus dans ce monde dont l'Occident était le centre et pouvait, à la fois, dire la loi et la faire exécuter par la contrainte » ! Mais cela ne veut pas dire que nous devons accepter, par faiblesse et aveuglement, de subir la contrainte de l'Autre.
Défense : Ces illusions dommageables ne sont-elles pas les conséquences de la mal nommée
Révolution dans les affaires militaires (RMA) ?
Vincent Desportes : Il faut certainement remettre en marche une critique des fondamentaux de la RMA, ou de la « Transformation » à l'américaine, responsable en grande partie des erreurs initiales d'appréciation pour les opérations en Irak et en Afghanistan. . Nous sommes ici dans une démarche manquant dramatiquement de substance politique, une démarche a-stratégique méprisant par trop l'adversaire, alors que toute stratégie - qu'elle soit opérationnelle ou génétique - qui n'est pas le résultat d'un calcul dialectique est immanquablement vouée à l'échec. Je ne le souhaite pas bien sûr, mais, on risque d'assister demain, comme cela s'est déjà passé par le passé, à un long repli stratégique américain... au moment même ou de nouvelles puissances viennent peu à peu prendre toute leur place. Espérons que nous saurons nous donner les moyens de ne pas trop en pâtir.
Propos recueillis par Défense. | |
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