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Le coup d'état du 13 mai 1958
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Nominations aux postes clésLe 4 juin, De Gaulle se rend à Alger où, prenant la parole au balcon du Palais du Gouverneur, il adresse aux colons son célèbre « Je vous ai compris ! ». « Dans toute l’Algérie, poursuit-il, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière ». À Constantine, il prend explicitement position pour l’Algérie française.
Il propose aux nationalistes algériens une « paix des braves » en échange d’un effort de développement pour l’Algérie. Ceux-ci lui répondent depuis Tunis qu’ils se battront jusqu’à l’indépendance et créent un Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en vue de négocier le retrait des forces coloniales.
Le Comité de Salut public, qui n’a pas disparu pour autant, presse De Gaulle d’instaurer un nouveau régime et exige la suppression des partis politiques. « Le » général, jaloux de ses prérogatives, répond sèchement et hâte l’auto-dissolution du Comité.
Avant de rentrer dans les casernes, les militaires touchent leur dû. Le général-président décrète : « En raison de la situation actuelle et exceptionnelle concernant l’ordre public en Algérie, l’autorité militaire exerce les pouvoirs normalement départis à l’autorité
civile ». Le général Raoul Salan est promu délégué général du gouvernement en Algérie. Les différents généraux et colonels impliqués dans le complot du 13 Mai sont nommés aux principaux postes civils en Algérie. Ainsi, le général Jacques Massu est-il nommé préfet d’Alger. Après le général-président, voici donc les généraux-préfets. De « paix
des braves », il n’est plus question. Pour mener la guerre à outrance, Salan obtient le crédit pharaonique supplémentaire de cent vingt milliards de francs. Le ministre des Finances, Antoine Pinay, est contraint de lever cinquante milliards d’impôts nouveaux et de lancer un emprunt.
Commentant la stratégie de terreur qui est alors mise en œuvre, le colonel Roger Trinquier déclare à des journalistes américains : « Dites que je suis un fasciste, mais nous devons rendre la population docile, facile à conduire. Nous ne saurions gagner cette guerre à moins d’utiliser des méthodes dures. Il nous faut modifier notre attitude face à cette guerre. Nous devons organiser la population et la maintenir organisée. Les méthodes douces que nous avons appliquées à ce pays ne nous mèneront nulle part » [22].
À Paris, des non-lieux sont prononcés en faveur de tous les factieux poursuivis sous le gouvernement Pflimlin. Pierre Sidos négocie avec Matignon et est discrètement autorisé par le cabinet du Premier ministre à reconstituer Jeune Nation à partir d’une revue homonyme [23]. Pour l’heure, il milite avec Dominique Venner dans le Mouvement
populaire du 13 Mai (MP-13) du général Chassin. Cette association, installée au domicile du général de division Jean Vézinet de La Rue, rassemble des personnalités d’extrême droite ayant participé au 13 mai, notamment les comploteurs du « Grand O », et tente de leur faire admettre le leadership de De Gaulle. Le général Vézinet était l’adjoint
de Geoffroy Chodron de Courcel au SGPDN.
Le 14 Juillet cesse d’être la fête du Peuple pour devenir celle du Peuple et de l’Armée. Le général Salan est décoré de la médaille militaire, tandis que Jacques Massu est promu général de division. Les parachutistes qui occupèrent le Palais du gouverneur à Alger défilent sur les Champs-Élysées.
André Malraux est nommé ministre du Rayonnement français (sic). Jacques Soustelle devient ministre de l’Information. Il révoque les dix principaux responsables de la Radio Télévision Française (RTF) qu’il remplace par des dirigeants gaullistes. M
e Henry Torres, un parent du général Massu, est nommé directeur général. Louis Terrenoire devient directeur des informations et du journal parlé. Tous les journalistes suspectés de sympathie pour le Parti communiste sont mis à pied. Devant la Commission de la presse de l’Assemblée, Jacques Soustelle déclare que les conditions d’une information objective à la RTF sont enfin remplies.
Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, organise une répression sans précédent des Arabes et Kabyles vivant dans la capitale. Ainsi, l’AFP indique : « Innovation ce soir : les personnes interpellées sont conduites dans un nouveau centre de triage qui a été aménagé au Vélodrome d’hiver [...] À 3 h du matin, près de deux mille musulmans
algériens se trouvaient au Palais des sports. Ce sont comme d’habitude les inspecteurs de la brigade des agressions et violences qui procèdent aux opérations de contrôle. Des fichiers sont constitués par les inspecteurs des Renseignements généraux [...] Des rafles aussi importantes se dérouleront les prochains jours » [24].
L’avènement du nouveau régimeUn Comité d’experts s’attelle à rédiger un projet de Constitution selon les instructions du général-président. Bien que ses travaux ne fassent l’objet d’aucune communication extérieure et donc qu’aucun des éléments de la future Constitution ne soit connu, le général Jacques Massu ouvre la campagne pour sa ratification. Au micro de Radio Alger,
il commente : « Le système, ce n’est pas tel ou tel homme, c’est un mode de gouvernement. Le renverser ne consiste pas à remplacer des hommes par d’autres, mais à modifier les structures. Pour l’abattre, il faut essentiellement gagner le référendum ».
Le général-président entreprend une tournée des colonies. Il est accompagné du ministre de la France d’Outre-Mer, Bernard Cornut-Gentille [25]. Partout, il annonce une réorganisation de l’Empire sous la forme d’une « Communauté » dans laquelle chaque territoire sera désormais autonome, à l’instar du self-government dans le Commonwealth britannique.
Selon les actualités télévisées, il est accueilli partout par des foules en liesse qui saluent en lui le visionnaire de Brazzaville. En effet, De Gaulle aurait anticipé la décolonisation de l’Afrique dans un discours de février 1944. La nouvelle Constitution permettrait aux
indigènes à la fois de trouver leur liberté et de continuer à profiter de la bienveillance de la France en s’associant avec elle au sein de la Communauté. En réalité, le discours de Brazzaville fut tenu dans le cadre d’une conférence de hauts fonctionnaires dont le relevé des conclusions stipule : « Les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’Empire ; la constitution éventuelle, même lointaine, de self-governements dans les colonies est à écarter ». Quant aux intentions du général-président, elles sont claires : celui qui fut le boucher de Sétif, en mai 1945, est accompagné, tout au long de sa tournée africaine par le général Pierre Garbay, inspecteur général des troupes d’Outre-Mer, qui revendique d’avoir fait massacrer quatre-vingt-neuf mille Malgaches à la suite de l’insurrection du 11 juin 1947. Afin de ne pas contredire les actualités de la RTF, les journalistes dissidents qui suivent le voyage officiel sont interpellés et reconduits en métropole. Les télécommunications sont même interrompues lors de la catastrophique escale guinéenne où la RTF ne peut enregistrer aucune image présentable.
Tout au long de son périple, De Gaulle peut compter sur les applaudissements des bourgeoisies locales devant lesquelles il brandit le spectre du communisme. Simultanément il doit faire face à des manifestations indépendantistes. À Madagascar, il souligne : « Des menaces pèsent sur nous tous : l’anarchie, des rêves de subversion qui précipiteraient le monde dans le chaos. Contre cela, la Communauté est faite aussi ». Dès qu’à une étape, il entreprend des déplacements longs, il doit faire face à des foules scandant « Indépendance ! ». Au stade d’Abidjan, une immense banderole est déployée pendant son discours : « Général De Gaulle, reconnaissez-vous notre indépendance, oui ou non ? ». À Conakry, il essuie un échec cuisant. Au meeting officiel, la foule scande « Indépendance immédiate ! ». Le président Sékou Touré s’adresse sans ambages à son visiteur. « Nous ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l’indépendance [...] Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ». De Gaulle accuse le coup et tente un morceau d’éloquence qu’il conclut par « Je crois que la Guinée dira Oui [au référendum]. J’ai dit. Vous réfléchirez ». Aucun applaudissement ne lui répond, seul un long silence glacé.
Le 4 septembre à Paris, le ministre du Rayonnement français, André Malraux, met en scène la propagande du nouveau pouvoir. Un décor de théâtre et des gradins sont installés dans un coin de la place de la République. Cinq mille notables ont été invités à assister à la présentation du projet de Constitution par le général-président. Après
la remise de décorations officielles à des Français méritants, André Malraux évoque la Résistance et ressuscite les émissions de la BBC. « Ici Paris, Honneur et Patrie, une fois de plus au rendez-vous de l’Histoire et au rendez-vous de la République, vous allez entendre le général De Gaulle ». Le président du Conseil prend solennellement la parole pour adjurer la Nation d’adopter son projet de Constitution. Le meeting est retransmis en direct par les trois stations de radio nationale et par la télévision, qui a modifié l’horaire de son journal pour l’occasion. Mais à l’extérieur de la place, cent cinquante mille manifestants, répondant à l’appel du Parti communiste, scandent « Non, Non, Non, Non ! » pendant le discours de Malraux. Et lorsque le général-président se hisse à la tribune, une clameur monte des rues avoisinantes : « Le fascisme ne passera pas ! ». La police reçoit l’ordre de disperser la foule. Des centaines de manifestants sont
blessés. Aucun bruit n’est parvenu aux auditeurs de la RTF, juste quelques hésitations des orateurs leur auront suggéré des difficultés techniques.
Dès le lendemain, les parlementaires sont invités se positionner ; ce qu’ils font en réaction aux propos de De Gaulle, sans avoir pris connaissance du texte soumis au référendum, qui ne sera diffusé à la presse que le surlendemain. Pierre Mendès-France dénonce le chantage permanent aux paras qui conduit à accepter la nouvelle Constitution sans la discuter, comme a été acceptée précédemment la chute de la IVe République. Il note que le projet distingue le sort de l’Algérie appelée à rester dans la France de celui des territoires d’Outre-Mer, censés devenir autonomes et associés. Surtout, il met en cause le principe du référendum qui exige une réponse binaire et ne permet pas de débattre des nombreuses options contenues dans le projet.
De son côté, le Parti communiste exhume le projet de Constitution élaboré par Philippe Pétain [26] et note avec dégoût les nombreuses similitudes qu’il présente avec le projet De Gaulle.
La radio et la télévision d’État rendent compte en détail de tous les appels au Oui et assimilent le Non à une directive soviétique relayée par le Parti communiste. En dehors de la presse communiste, seule
La Dépêche du Midi du sénateur radical Jean Baylet milite pour le Non. Une kyrielle d’associations apparemment différentes fleurit pour soutenir le Oui. La plus tapageuse est l’Association nationale pour le soutien à l’action du général De Gaulle (nouvelle dénomination de l’Association pour l’appel au général De Gaulle dans le respect de la légalité républicaine), animée par les stay-behind Bernard Dupérier et Henri Gorce-Franklin. Elles disposent toutes de temps d’antenne à la RTF et sont coordonnées en sous-main par l’Amicale des anciens des services spéciaux dirigée par le colonel Paul Paillole, l’homme de confiance de Jacques Soustelle. La gauche non-communiste bat en retraite. Derrière Guy Mollet, la SFIO se rallie à De Gaulle, tandis que, derrière Félix Gaillard et le lobby colonial, le parti radical en fait autant, mettant Mendès-France et Baylet en minorité.
En Algérie, le général Raoul Salan supervise « l’Opération Référendum ». Des instructions sont diffusées aux officiers. « Il est inutile d’insister sur l’intérêt vital que représente pour la France le succès du référendum. Son échec compromettrait irrémédiablement la politique de rénovation entreprise depuis le 13 mai. Il importe donc que l’armée, détentrice des pouvoirs civils et militaires en Algérie, entreprenne une vaste campagne de propagande pour obtenir :
une participation massive au référendum ;
une très forte majorité de Oui.
[...] pour mettre en condition la population musulmane, il faut surtout créer et développer le mythe De Gaulle » [27].
Toutes les réunions en faveur du Non sont interdites et les matériels électoraux saisis. Lors des opérations de vote, l’armée établit les listes électorales, transporte les populations aux bureaux de vote, tient les urnes, et dépouille les bulletins. La mascarade est complète.
En métropole, la Constitution est approuvée par 79,25% des suffrages exprimés. Dans les colonies, la moyenne est de 94% de Oui. On atteint même 99,99% en Côte-d’Ivoire. Seule ombre au tableau : la Guinée. De Gaulle a décidé de lui donner sa liberté et de lui faire payer cher l’affront qu’elle lui a fait. Ce sera aussi un moyen de dissuader les autres prétendants à l’indépendance. Les élections n’y étant pas contrôlées par l’armée et aucune fraude importante n’ayant été relevée, le Oui n’y remporte que... 4,6%.
Avec l’adoption de la Constitution prennent fin les pleins pouvoirs accordés par la IV
e République finissante. Mais, au titre des dispositions transitoires prévues par l’article 92 du nouveau texte, ils sont prolongés pour quatre mois. Le temps nécessaire pour procéder à l’élection du premier président de la V
e République et des nouveaux députés. Un collège de grands électeurs, composé en majorité de notables ruraux, élit Charles De Gaulle à 78%. Pour les législatives, le gouvernement décrète le scrutin majoritaire à deux tours et découpe à son avantage les circonscriptions de sorte qu’un candidat gaulliste a besoin de dix-neuf mille voix pour être élu quand il en faut trois cent
quatre-vingt mille à un candidat communiste. Les gaullistes, qui ne recueillaient que 4,42% des voix lors de la consultation précédente, obtiennent 198 députés. La plupart de ceux qui s’étaient opposés à la Constitution sont balayés ; parmi eux, Pierre Mendès-France est battu par un jeune opusien, Rémy Montagne. Les institutions ayant été verrouillées, les pleins pouvoirs peuvent prendre fin.
De Gaulle réorganise son équipe. Michel Debré est nommé Premier ministre ; René Brouillet devient directeur de cabinet du président, tandis que Georges Pompidou passe au Conseil constitutionnel. Geoffroy Chodron de Courcel est nommé secrétaire général de l’Élysée, tandis que le général André Beaufre le remplace à l’OTAN.
Une monarchie électiveContrairement à ce que prétend l’histoire officielle, la IV
e République n’est pas morte d’être trop démocratique, mais de ne pas être assez républicaine. Certes, le harcèlement parlementaire du gouvernement a provoqué une instabilité ministérielle impropre à la conduite de grandes réformes. Il était possible de remédier à ce grave
défaut en rééquilibrant les pouvoirs par un simple contrôle de constitutionnalité du règlement interne des Assemblées, mais aucune majorité ne le fit.
Surtout, la IV
e République n’a pas su appliquer les principes universalistes dont elle se réclamait. Elle a refusé avec obstination l’égalité en droits des « peuples associés », par exemple en remettant toujours à plus tard la suppression du double collège électoral en Algérie, pourtant annoncée par le Front populaire, en 1936. Elle a craint les résultats du suffrage universel qui seraient advenus si les électeurs français étaient devenus majoritairement non européens. [28]
Au contraire, face à ces contradictions, De Gaulle incarne une cohérence : la domination par la force. Pour maintenir encore le joug français sur les colonisés, il se propose d’exalter le nationalisme et de solder l’idéal universaliste de la République. Pour ce faire, il accorde une complète autonomie à chaque colonie, de sorte que le principe égalitaire en vigueur en métropole puisse cohabiter avec des systèmes discriminatoires variés hors métropole, et que leur exploitation économique puisse perdurer. En outre, il entend liquider la démocratie représentative, le « régime d’Assemblée », qu’il exècre et
instaurer un pouvoir personnel. Dans la tradition bonapartiste, il prétend, par sa personne, réconcilier l’inconciliable : le contrat social de la République et la France éternelle de l’Ancien régime. Ainsi ponctue-t-il ses interventions d’un paradoxal « Vive la République !
Vive la France ! ».
Il est objectivement aidé dans son entreprise par les socialistes et les communistes qui, postulant le primat du collectif sur l’individu, ne veulent pas davantage que lui reconnaître l’égale citoyenneté des individus, bien que ce soit au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
Comme le notent à l’époque tous les commentateurs, les institutions de la V
e République n’a de républicaine que le nom. On ne voit d’ailleurs pas comment un putsch militaire, ourdi pour renverser une république, pourrait donner naissance à une nouvelle république. Elles consacrent une « monarchie non héréditaire », selon la formule de Mendès-France. Pire, en faisant du président de la pseudo-République, le président de
droit de la Communauté, elle le rend personnellement responsable de l’Empire comme les rois des Belges étaient personnellement propriétaires de leurs colonies. En définissant le domaine de compétence de la Communauté, elle définit les pouvoirs du président dans ce que l’on appellera désormais « le domaine réservé ». Ce domaine comprend « la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et
financière commune ainsi que la politique des matières premières stratégiques. Il comprend en outre, sauf accord particulier, le contrôle de la justice, l’enseignement supérieur, l’organisation générale des transports extérieurs et communs et des télécommunications. Des accords particuliers peuvent créer d’autres compétences communes ou régler tout transfert de compétence de la Communauté à l’un de ses membres » (article 78).
Un lobbyiste du patronat, Georges Albertini, le stay-behind qui dirige la principale officine anti-communiste en France, intervient auprès de De Gaulle pour faire ajouter une disposition à la Constitution. Elle dispose : « [Les partis et groupements politiques]
doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie " (article 4). Elle devrait permettre d’interdire le Parti communiste quand le rapport de force s’y prêtera.
Thierry Meyssan (Réseau Voltaire)